Sort des autres condamnés au procès contre Staline.

Sort des autres condamnés du procès contre la vie de Staline.

Cause indirecte et bien involontaire de toutes ces arrestations, Neveu consacre le meilleur de son temps et toute son ingéniosité à connaître le sort des prisonniers, afin de pouvoir les soulager.

"Après le départ du dernier courrier, écrit-il à d'Herbigny le 29 janvier 1934, je vois un beau matin accourir à la sacristie de Saint-Louis la mère de la fillette que j'avais recueillie au commencement d'octobre. (Vera Khmeleva, ancienne dominicaine mariée): son odeur m'avertissait suffisamment qu'elle accourait tout droit de la prison. "Vous êtes libre?"- Oui, pour dix jours, après lesquels je dois être déportée trois ans à Gorki (Nijni) pour contre-révolution prouvée, parce que je connaissais une "organisation catholique".  - Qui des nôtres avez-vous vu en prison? - "Sœur Marguerite (Krylevskaïa) arrêtée en même temps  que moi et chez moi. Elle est très courageuse, ne sait comment vous remercier  des vivres que vous nous envoyez et passe ses journées à réciter des chapelets pour son cher père.  - N'avez-vous pas de nouvelles des autres? - Si il y a Pavlik (jeune juif baptisé); Qui est sorti de prison avec moi et qui est arrivé tout droit pour vous voir.

Sœur Philomène Eismont est malade, mais très courageuse. Sœur Hélène Vakhevitch, si timide, est très forte et méprise les menaces. Mlle Camille est admirable. Katia Alexandrovna (fille du père Nicolas) est toute transformée: elle n'éprouve plus maintenant aucune sympathie pour les bolcheviks et lorsqu'à l'interrogatoire on l'injurie; elle crie plus fort qu'eux et leur sort les expressions monumentales qu'elle a apprises à l'école: ils sont furieux contre elle, car elle a toujours le dernier mot.    

Thérèse (jeune juive baptisée, de Kostroma) est intrépide; malgré qu'elle soit malade (tuberculose?) - Et Mère Abrikossova ? - "Ils m'ont dit eux-mêmes qu'ils la nourrissent bien, qu'ils ne la fusilleront pas, mais qu'ils lui donneront encore dix ans de déportation pour qu'elle y meure. On  perce le respect de sa personnalité et de sa foi si courageuse. Mais vous, Père, gardez-vous bien ; ils ne parlent de vous qu'en grinçant des dents et avec les pires injures contre le Saint-Père et contre vous." Et Neveu de conclure : "C'est magnifique de se trouver en si haute compagnie : enviez-moi, cher Seigneur, vous voyez qu'il me reste quelque chance de martyr."

Pavlik vit effectivement Neveu, qui relate son entretien : " Je parlai au jeune Pavlik; dont la persévérance au milieu des peines de la prison m'inspirait quelque crainte :

"Comment cela va-t-il ?"

- Je suis très heureux"

- "A quoi êtes-vous condamné?"

- "A trois ans de déportation à Sverdlovsk (Ekaterinbourg) "

- Comment, en plein Oural, mais pourquoi? -

- C 'est parce je connaissais et visitais parfois la personne qui vous a parlé avant moi?"

- Mais elle va à Gorki, c'est bien plus près.

- Ici, il ne faut pas raisonner.

- Avez-vous bien souffert en prison?

- Au commencement, ce fut affreux ; j'avais peur de ne pas persévérer à cause de ma faiblesse. En fin de compte, je me suis pris entre mes mains, j'ai bien prié et tout a été pour le mieux.

- Avez-vous été maltraité? "

- non.

- Et menacé?

- Evidemment, on m'a promis des balles de fusil: mais ils ont beau crier ; ce n'est pas toujours sérieux et pour de bon"

- On vous a reproché de vous être fait catholique?"

- Oui, pour eux c'est une folie. Ils m'ont aussi demandé si je vous connaissais et j'ai répondu que non, que je ne vous avais vu qu'au confessionnal. Alors ils m'ont demandé : "Que lui as-tu dit à confesse?" - C'est l'affaire de ma conscience.

" Et vous voyez, cher Seigneur, toute l'impudence de ces sbires, commente Neveu à d'Herbigny, pour conclure : "Il y a deux dominicaines de Krasnodar : Sœur Madeleine et Sœur Joanna, dont je suis sans nouvelles. En résumé : nos prisonniers pour la cause catholiques sont admirables : Dieu soit béni."

De sœur Madeleine, Neveu allait avoir vite de tristes nouvelles. Le 12 février 1934; il écrit : " Le Bon Dieu vient de se choisir une nouvelle victime dans la famille des courageuses tertiaires régulières dominicaines russes. Une excellente petite religieuse, âme très pure, Sœur Madeleine, après avoir subi comme toutes ses sœurs une longue captivité suivie de déportation, être demeurée quelque temps à Smolensk, puis à Krasnodar, fut arrêtée, dans cette dernière ville l'automne dernier et amenée ici. Sa bonne vieille mère, qui habite aux environs d'Odessa, vint à Moscou pour s'occuper d'approvisionner la sœur et tâcher d'obtenir une entrevue avec elle. A Boutyrki et au Guépéou, aux questions de la maman, on répondait toujours : "Nous ne savons où elle est". Ils mentaient : samedi 10, Un des agents du Guépéou finit par dire à la pauvre femme : "J'ai une mauvaise nouvelle à vous communiquer : votre fille est morte".

- Fusillée ? de maladie? quand?

- Revenez dans deux jours ou trois jours je vous donnerai les renseignements désirés.

La sœur était délicate de santé : je ne crois pas qu'on l'ait fusillée. Mais que sait-on? En tous cas, la pauvre mère, n'aura certainement pas le corps de sa fille. Que font nos bandits des corps des saints? C'est à pleurer de tristesse, mais c'est encore un nom de plus au martyrologue de l'Eglise catholique en Russie et une nouvelle gloire dominicaine à signaler discrètement au RP Gillet (Maître général de l'Ordre dominicain) " (9)

(9) Sœur Madeleine, née en 1898 dans une famille de la noblesse à Mohilev, catholique, embrassa le tiers ordre dominicain et fut condamnée au premier procès à trois ans d'exil en Oural. Libérée le 9 mai 1927, elle s'établit à Smolensk, de là à Saratov, où elle fut arrêtée en 1931; libérée à Krasnodar, à nouveau arrêtée en 1933. Note de l'auteur.    

  Dans le courrier suivant du 26 février 1934, Neveu donne de nouvelles précisions : "La sœur Madeleine (Maria Grigorevna Kamorovskaïa, 36 ans ) dont le décès avait été notifié à la mère le 9 février, a été incinérée le 2 février. La mort remontait par conséquent à la veille ou à l'avant-veille ; la pauvre petite sœur avait une pneumonie qui l'a emportée. Arrêtée en automne, elle manquait d'habits chauds; il est probable qu'elle était déjà malade à l'hôpital de Boutyrki au cours de l'instruction.

La lettre du 12 février contenait des détails sur le sort des autres prisonniers du procès des catholiques contre la vie de Staline: "Une autre sœur (Sœur Veronica) Vera Efimovna Tsvetova (dans le monde) vient d'être expédiée dans un camp de déportés en Sibérie, à Mariinsk, au-delà de Novossibirsk et de Tomsk. Au même endroit est déportée pour trois ans la jeune Katia Alexandrovna, fille du brave père Nicolas Alexandrov. Cette enfant n'a pas vingt ans. Pendant l'entrevue qu'elle a eue avec son père avant le départ pour la Sibérie, elle confia que le "juge" d'instruction l'avait tellement mise hors d'elle-même qu'elle lui avait tiré la langue. Magnifique... Un des chefs d'accusation : complot contre la vie de Staline... Mme Vera Alexandrovna Khmeleva n'est pas encore partie pour Gorki, on lui a donné un sursis, mais la milice est venue chez elle la mettre tout simplement à la porte de sa chambre ; par bonheur, si l'on peut dire, sa fillette (mon ancienne pupille) est malade au lit, c'est cela qui les a sauvées de la rue. Jolies mœurs.

Le jeune Juif baptisé (converti par Sœur Madeleine Pavlik (Rouvim Naoumevitch Prepichtine) est bien arrivé à Sverdlovsk où il est déporté, mais ne connaissant pas encore de catholiques là-bas, il passe les nuits dans la gare ou dans les rues...Le bruit a couru que Mgr Maletski serait rentré à Leningrad : mais je n'ai aucune confirmation.

Un jeune prêtre du diocèse de Jitomir l'abbé Antoine Traczinski, (10) ayant fini son temps de déportation (il s'occupa de travaux forcés à Solovki, en Sibérie, et ailleurs) est repassé par Moscou. Il m'a rapporté de Novossibirsk, une lettre remplie de sentiments les plus admirables de foi, d'une jeune juive convertie, Nora Roubacheva."

(10) Né en 1893 dans la région de Loutsk, il fut arrêté le 7 mai 1928 et condamné à six ans d'exil : Omsk, Narymski, Kraï, Solovki, enfin Novossibirsk, libéré en 1934, il se fixa à Briansk. Note de l'auteur. 

La lettre du 26 mars 1934 donne les ultimes informations sur les victimes de ce procès imaginaire: "Le sort de nos prisonnières vient d'être réglé. On me fait savoir que la Révérende Mère Anna Ivanovna Abrikossova est condamnée à la détention à vie. (Ici Neveu est mal informé : la Mère fut condamnée à huit ans). Mlle Camilla Krouchelnitskaïa a été condamnée à être fusillée. Mais nos seigneurs et maîtres, en leur générosité, on commué cette peine en dix ans de détention.   

Sœur Philomène Eismont, digne et vertueuse religieuse, a huit ans de travaux dans un camp de correction. Même peine à la Sœur Elena Vakhevitch. Sœur Catherine Gotovtseva à cinq ans de déportation. Les deux amies de Mlle Camilla, les sœurs Olga (catholique) et Tamara (orthodoxe) Füssner ont chacune cinq ans de camp de concentration.

Les deux sœurs Füssner et les dominicaines ont été extraites de la prison de Boutyrki le 7 mars et le même jour, à 10 heures du soir, mises en wagon, wagon à bestiaux et marchandises, et elles ne quittèrent Moscou que le lendemain 8 à 10 heures du soir. D'Iaroslav, la bonne sœur Philomène put envoyer une lettre non affranchie à sa vieille maman, laquelle n'a pu obtenir une nouvelle entrevue avec sa fille. Cette bonne vieille, qui n'est pas catholique, ennuie tant qu'elle peut le procureur de l'URSS : elle va constamment lui demander : "Pourriez-vous me dire quel acte délictueux ma fille a bien pu commettre?" On se garde bien de lui répondre et on se contente de lui dire : "Repassez dans une semaine." Et ce manège dure depuis plus de trois mois. Sœur Philomène raconte à la maman qu'elle est dans doute destinée au camp de Svobodni (quelle amère dérision dans ce nom, qui veut dire : libre) pas très loin de Khabarovsk. Les sœurs prévoient que leur voyage durera peut-être  un mois et demi : naturellement, on ne les a pas mises dans le transsibérien. Leur moral est très élevé et leurs sentiments on ne peut plus édifiants. Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer en lisant la lettre où Sœur Philomène, avec la plus grande simplicité, prêche à sa mère, la joie patiente dans l'épreuve et exprime sa confiance au Bon Dieu ; j'avais voulu prendre cette lettre écrite au crayon dans ce wagon à bestiaux, afin de vous l'envoyer : la maman n'a pas voulu s'en défaire et je comprends cela.

Mme Pechkova sachant que Mme Eismont n'est pas catholique a tout de même déclaré : "On est vraiment cruel pour les catholiques." Cette petite juive convertie de Kostroma, dont je vous ai parlé aussi, a été condamnée à trois ans de déportation et, au moment où on lui signifiait cette sentence, elle s'est écriée : "Comme je vous remercie. Vous comblez tous mes désirs. " Le Bon Dieu ne permettra pas que nous soyons perdus : il y a des saints, qui souffrent pour nous et la Russie."

En avril 1934, les condamnées sont arrivées à destination . "La sœur Philomène Eismont écrit à sa mère une admirable lettre : les pauvres voyageuses sont restées un mois entier sans pouvoir changer de linge et de se déshabiller.. Elle a obtenu dans son camp une place de dactylographe. Mlle Olga Füssner (l'amie de Camilla)  est comptable dans le même camp : c'est justement celui où se trouve  le petit père Alexandre Vassiliev, à Ouroulga non loin de Khabarovsk. Puissent-ils se joindre et se consoler par la réception des sacrements. " (lettre de Neveu du 9 mais 1935).             

             

Khabarovsk (English) Хабаровск (Russian)
-  City[1]  -
Ерофей Хабаров 2.jpg Monument to Yerofey Khabarov in Khabarovsk
Map of Russia - Khabarovsk Krai (2008-03).svg Location

 

Les services de l'Oguépéou ne chôment pas; " A Kostroma, le Guépéou a fait l'inventaire des hardes de la Révérende Mère Abrikossova et interdit au propriétaire  de la chambre de les remettre à qui que ce soit: c'est ce qu'apprit en arrivant là une dominicaine  que j'avais envoyée recueillir ses effets. La fille du père Nicolas Alexandrov. Katia, a été renvoyée de Mariinsk à Svobodnoïe travailler au nouveau chemin de fer de l'Amour : la sœur Véronique Tsetkova a demandé et obtenu de suivre la jeune fille pour qu'à deux elles puissent se soutenir mutuellement.

Un mandat envoyé à la sœur Marguerite Marie Spetchinskaïa est aussi revenu en Sibérie : on a dû la transférer encore une fois, mais je ne sais pas où. (11) 

(11) Olga Alexandrovna de la noblesse, passée à l'Eglise catholique dans le tiers ordre dominicain, condamnée au premier procès à trois ans d'exil en Sibérie. Envoyée d'abord à Kolpachevo, région d'Omsk. Sort ultérieur inconnu. Note de l'auteur.

La bonne petite Nora Roubacheva (Juive convertie) a été transférée de Novossibirsk à la station de Souslovo sur le chemin de fer de Tomsk " (Lettre de Neveu du 9 avril 1934).

En même temps les arrestations continuent :La première agent de liaison entre le "Vladyka" (Mgr Barthélémy Remov, évêque orthodoxe devenu catholique) et votre serviteur après la mort d'Alexandre Roumiantsev, la brave Elena Iegorova, qui était sur le point de se faire catholique, a été arrêtée le 27 avril 1934: pendant la perquisition on a trouvé chez elle le portrait du Saint-Père : la pauvre fille va payer chèrement son affection au pape. Le Vladyka est bien désolé. La sœur Catherine Vakhevitch actuellement à Smolensk, s'attend à être arrêtée comme sa sœur Hélène le fut en août dernier : une femme du Guépéou de cette ville est déjà venue plusieurs fois lui tirer les vers du nez" (ibidem) (12)

(12) Le martyrologue dressé par Irina Ossipova permet de corriger quelques inexactitudes de Neveu ( tout comme celui-ci nous aide à compléter l'inventaire d'Ossipova. La sœur Vakhevitch, qui réside à Smolensk , s'appelle Elisabeth : sa sœur , Hélène . Toutes les deux, de la classe bourgeoise, passèrent au catholicisme. Hélène (sœur Agnès) fut condamnée au procès de 1924 à cinq ans de prison à l'isolateur d'Irkoutsk, suivis de trois ans d'exil en Sibérie. Arrêtée à Smolensk le 11 octobre 1934, elle fut condamnée à huit ans d'ITL et dirigée le 1er avril 1934, au Bamlag, où  nous perdons sa trace. Elisabeth (sœur Dominique) qui fut condamnée au procès de 1934 à cinq ans de prison, fut d'abord envoyée à la centrale d'Orel, puis à Souzdal. De Smolensk où elle se trouvait en 1934, elle se transféra à Voronej où nous perdons sa trace. Note de l'auteur.
Article suivant : la fin des tertiaires dominicaines.       


26/09/2015
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