L'Icone de l'Annonciation

L'Icone de l'Annonciation

 

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Article du Père Egon Sendler  ( Dans Plamia septembre 1990 n° 79 )

 

Nous ne savons pas exactement à quelle date l'Eglise a commencé à célébrer l'annonce faite à Marie : ou, comme le dit le tropaire de la fête, le jour qui est le "début de notre salut et la manifestation du mystère éternel." Il est probable que ce fut avant le Concile d'Ephèse au cours duquel fut défini le dogme de la maternité divine (431). En effet, les sources littéraires de cette fête étaient connues depuis longtemps : les évangiles canoniques ainsi que leurs interprétations poétiques, les apocryphes (tels le Protoévangile de Jacques et le Pseudo-Matthieu, rédigés vers le IIIe siècle). Ces écrits ont nourri la communauté des fidèles et enrichi la vie liturgique.

Jusqu'alors, les fêtes célébrées par l'Eglise mettaient en lumière la gloire de Pâques et la manifestation de Noël-Epiphanie. Cela correspondait à la doctrine des premiers Conciles. En se tournant vers les mystères de l'enfance de Jésus et de sa mère, l'Eglise a créé une série de fêtes qui explicitent le mystère de l'Incarnation. On peut donc dire que, depuis Ephèse, la doctrine des Conciles ainsi que la littérature populaire et patristique remplirent un rôle providentiel : celui de compléter la célébration de la divinité du Christ par celle de son humanité. L'année liturgique devient ainsi, dans son ensemble, le déploiement de tous les aspects de l'Incarnation.

La fête

La date de sa célébration

 

Dès le Ve siècle, l'Annonciation fut célébrée dans les différentes Eglises d'Orient et d'Occident à des dates différentes. La raison de cette divergence est à rechercher dans les spéculations de l'époque qui ne s'appuyaient pas sur les mêmes arguments théologiques. Ceci a donné naissance à plusieurs traditions. Une des plus anciennes car elle remonte au IIIe siècle, voit l'annonciation, la crucifixion et la création du monde comme trois éléments unis dans l'histoire du salut. La fête est célébrée le 25 mars.

Une autre tradition, de conception plus historique, respectant les mois pendant lesquels la Mère de Dieu portait le Fils dans son sein liait l'idée de l'Annonciation à l'Epiphanie (6 janvier) et, ce faisant, fixait la fête au 7 avril. C'est à cette date que l'Eglise Arménienne célèbre encore aujourd'hui l'Annonciation. Si, par le même calcul, on partait de la Nativité, on arrivait au 25 mars. C'est   cette date qui fut adoptée à Byzance et en Occident. un premier témoignage pour la célébration de l'Annonciation à cette date nous est donné par l'homélie de l'évêque Abraham d'Ephèse au VIe siècle, prononcée sans doute le 25 mars.

Une autre série de traditions s'est créée à la suite du problème liturgique soulevé par la date du 25 mars : elle tombe dans le Grand Carême, période qui s'oppose à une célébration où l'Eglise exprime sa joie et sa reconnaissance pour la venue du Sauveur dans notre monde. Certaines Eglises avaient donc préféré transférer cette fête dans le temps avant Noël. Ainsi, Idelfonse de Tolède (+ 669) avait composé les textes liturgiques de la fête pour le 18.

L'Orient avait lui aussi choisi cette solution. La liturgie mozarabe célèbre l'Annonciation pendant l'Avent, la liturgie syriaque lui consacre lui consacre deux dimanches avant Noël, l'Eglise nestorienne même quatre dimanches avant, qu'elle appelle encore aujourd'hui les dimanches de l'Annonciation.

A Rome, la fête de l'Annonciation fut mentionnée pour la première fois dans le "liber pontificalis du pape Serge (687-701). Originaire d'Orient, c'est lui qui fixa la date au 25 mars et institua pour ce jour une procession allant de St Pierre à la basilique Ste Marie Majeure, lieu privilégié du culte de la Mère de Dieu avant la promulgation du dogme par le Concile d'Ephèse (431)

A Byzance, les difficultés d'ordre liturgique furent résolues par le Concile Quinisexte (in Trullo) (692) qui autorisa finalement la célébration de l'Annonciation pedant le Grand Carême et même lorsqu'elle tombe le Vendredi Saint ou le dimanche de Pâques. Depuis, cette fête est célébrée le 25 mars en Occident comme en Orient où elle porte des noms (impossible à reproduire ici dans la langue d'origine NR qui signifient " bonne nouvelle" ou mieux "l'annonce de la grâce"  

Les lectures des offices

La scène de l'Annonciation a été décrite dans tous ses détails dans l'évangile de St. Luc (1, 26 -38). Les textes des offices approfondissent sa portée théologique de façon étonnante. Ce sont moins les éléments tirés des apocryphes qui sont utilisés - bien qu'ils ne soient pas totalement absents mais plutôt les textes de l'Ancien Testament dont le sens symbolique a été une source d'inspiration pour les Pères de l'Eglise  et les poètes liturgiques. Théologie et poésie en s'unissant ont fait des textes de cet office de véritables chefs-d'oeuvre qui chantent le rôle de Marie dans l'oeuvre du salut.

Les lectures se trouvent dans l'office des vêpres de la fête. Elles sont au nombre de cinq, chiffre dépassé seulement à Noël et à l'Epiphanie, ce qui prouve l'importance donnée par l'Eglise byzantine à la fête de l'Annonciation.

Lorsqu'elle célèbre la fête de l'Annonciation, l' Eglise, dans les offices, offre ses louanges à la Mère de Dieu aussi bien qu'à son divin Fils. En premier lieu, elle souligne le caractère divin du mystère : le Fils engendré avant les siècles, se fait homme. Il s'incarne pour ramener par le sacrifice de sa vie l'humanité au Père, et avec lui-même toute la création. Tel est le sens primordial de la Bonne Nouvelle.

Dans ce mouvement d'amour de Dieu vers ses créatures, Marie est intimement liée à son Fils, par son corps et par son âme. Et Dieu, dans son immense pitié, se soumet à la libre décision d'une jeune fille pure et immaculée pour réaliser son plan de salut et pour donner naissance à un être dans lequel l'humanité toute entière trouve son accomplissement. Grâce au consentement de Marie, la mort sera vaincue et l'humanité pourra renaître à la vie divine. Comment mieux exprimer ce mystère qu'avec les textes de l'Ancien Testament qui en reçoivent leur véritable sens ?

Les trois premières lectures des vêpres sont lues également aux fêtes de la Nativité de la Mère de Dieu et de la Dormition

La première lecture est un texte du livre de la Genèse (Gn. 20 12-13) et décrit la vision de Jacob:

"Voilà qu'une échelle était plantée en terre et que son sommet atteignait le ciel et des anges de Dieu y montaient et descendaient". Dans les versets des vêpres, cette échelle est interprétée comme symbole de la Mère de Dieu : "Salut viaduc menant vers les cieux et échelle y conduisant que Jacob contemple" (1)

(1) Stichère des lucernaires de l'Annonciation

Ainsi, Marie est en même temps terre et ciel. Elle est terre, car  elle descend de celui qui fut formé de terre, et elle s'ouvre comme une fleur s'ouvre comme fleur à la semence. Elle est ciel, car l'Esprit de Dieu descend sur elle pour lui communiquer la vie divine et pour faire d'elle le trône du Tout-puissant. En elle se réalise l'union de la divinité avec l'humanité.

La lecture suivante est un texte du livre du prophète Ezéchiel (43, 27-44.5). Le Seigneur lui fait contempler le temple de la Jérusalem céleste et le conduit vers la porte qui garde l'Orient et par laquelle "l'Emmanuel entrera". Mais pour Ezéchiel, cette porte restera fermée. Elle s'ouvrira ce jour de l'Annonciation où Dieu fait son entrée dans l'humanité : " Tu apparus comme la porte de la vie au prophète Ezéchiel, que seul le Seigneur incarné franchit, ô vierge, et il te garde fermée, ô Pure" (2)

(2) Oktoik 6e ton du vendredi, 2e canon; 3

La troisième lecture, des Proverbes (Prov 9,1 - 11)  compare Marie à la maison que la Sagesse Divine s'est construite. "La Sagesse a bâti sa maison, elle a dressé sa table, elle a envoyé ses serviteurs, elle dit : " ... venez manger mon pain et boire mon vin que j'ai mêlé pour vous. Laissez l'ignorance et vous vivrez." Depuis toute éternité, la Sagesse Divine a préparé a préparé l'humanité pour que le Verbe puisse trouver une demeure dans une jeune fille, Marie. elle le portera dans son sein comme le font toutes les mères, et elle le nourrira jusqu'à ce qu'il vienne au monde. En Marie, la Sagesse prépare déjà la table pour le pain et le vin du sacrifice eucharistique. Ceux qui acceptent l'invitation à ce banquet reçoivent la vérité et la vie.

La lecture suivante est,  elle aussi, interprétée comme vision prophétique de la Mère du Fils éternel : sur le mont Horeb, Moïse reçoit la révélation du Dieu vivant dans le buisson qui brûle sans se consumer (Exode, III, 1-6). La liturgie y voit le symbole de la conception et de la naissance virginale de Jésus. De même que le feu divin ne détruit la vie végétale du buisson, de même la présence de la divinité ne toucha pas la nature humaine de Marie, mais la sanctifia pour qu'elle devienne source de lumière. (3)

(3) Cette scène a inspiré un type d'icônes appelé "le buisson ardent" qui représente Moïse devant le buisson en flammes, ôtant ses sandales.

La cinquième et la dernière lecture provient elle aussi du livre des Proverbes (8, 22-30). Elle décrit le rôle de la Sagesse depuis la création du monde. "le Seigneur m'a faite pour lui au commencement de son action, avant ses oeuvres les plus anciennes. Avant les siècles j'ai été fondée, dès le commencement ... (Pr. 8 22-23) Lorsqu'il établit les fondements de la terre, j'étais à ses côtés comme un maître d'oeuvre. J'y trouvais mes délices jour après jour, jouant devant lui à tout instant.

C'est un texte qui divise les exégètes, car la Sagesse y apparaît comme une personne qui participe à l'action créatrice et rédemptrice de Dieu. S'agit-il de l'expression poétique d'anciennes conceptions religieuses ou d'une révélation nouvelle ?

Quoi qu'il en soit, le Nouveau Testament applique à la personne du Christ ce que l'Ancien Testament dit de la Sagesse (Mt 11.19, Lc 11, 49 1 Co 10, 4 p;e;) et la liturgie chrétienne l'a appliqué par accommodation, à la Sainte Vierge.

Certes, Marie n'est pas engendrée de toute éternité, mais elle est la première créature sur laquelle s'arrêteront la pensée et la prédilection de Dieu. Elle sera le temple de la Sagesse incarnée, intimement liée à lui par tout son être. L'Eglise a appliqué ce texte à Marie qui de tout temps était présente dans la pensée de Dieu, du Dieu trinitaire qui manifeste dans l'Annonciation son immense miséricorde.

Nous nous limiterons à ces figures, décrites dans les lectures de la fête. Tout au long des offices, l'Eglise byzantine chante la louange de Marie par d'autres images de l'Ancien Testament. Elle la compare à Eve, à la terre non ensemencée, au trône du Roi, à l'astre annonçant le soleil, à la jarre de la manne. Ces figures, même si elles n'ont pas une influence directe sur l'iconographie de l'Annonciation, donnent à la scène sobre et simple de l'Evangile les dimensions théologiques du mystère incompréhensible du Verbe incarné.

 

II - L'iconographie de l'Annonciation

Nous savons que la fête de l'Annonciation était célébrée avant le IVe siècle déjà. Pourtant, la représentation de la scène telle qu'elle est décrite dans l' évangile de Saint Luc, ne figure pas dans les peintures des catacombes. La fresque de la catacombe de Priscille à Rome montre un jeune homme qui se tient devant une femme assise sur un trône et tenant l'enfant sur ses genoux. Cette femme représente sans aucun doute la Mère de Dieu, mais la présence de l'enfant ainsi que l'étoile au-dessus du groupe mettent, à mon avis, en doute la théorie (1) d'après laquelle il s'agit de la représentation

(1) Théorie avancée par Rossi, Garrucci, Vaal et autres. 

 de  l'Annonciation. L'Adoration des Mages de la même catacombe ne permet pas on plus avec certitude de l'interpréter comme une Annonciation. Quant au personnage qui se tient devant la Mère de Dieu, il faut se rappeler que la peinture des premiers siècles représentait les anges comme des hommes jeunes, vêtus de chiton, le bâton du berger ou une lance à la main. Ce n'est qu'au Ve siècle que l'iconographie des anges se précise et que les ailes deviennent leur attribut caractéristique.

Ce sont donc les éléments de la composition des deux fresques et pas seulement le jeune homme représenté sans ailes devant la Mère qui permettent de conclure à un autre sens de la fresque dite " de l'Annonciation".

Après le Concile d'Ephèse (431) deux tendances contribuent à la formation du type iconographique de l'Annonciation. L'une de ces tendances est due à l'influence des apocryphes spécialement du Protoévangile de Jacques et du pseudo-Matthieu qui apportent par de multiples détails un enrichissement certain de la composition. L'autre tendance provient de l'évolution de l'art byzantin même. A cette époque, c'est la civilisation de l'empire et son idéal de beauté et de grandeur qui fournissent les formes et les éléments décoratifs de l'art et conduisent à l'élaboration de l'image de majesté qui est typique pour l'art byzantin et qui atteint son expression la plus riche dans l'âge d'or de Justinien, au VIe siècle.

Cette conception se manifeste clairement dans les mosaïques de l' arc de triomphe de S Marie Majeure à Rome (1) qui sont également une des premières représentations contenant tous les éléments

(1) Cet arc de triomphe appelé également "arc éphésien" fut décoré de mosaïques sous le règne du Pape Sixte III (432-4454) après le concile d'Ephèse.

 d'une Annonciation. Son langage est moins celui de l'évangile que celui de l'art impérial.

La mosaïque montre la Mère de Dieu sur un trône, dans une attitude majestueuse. Elle est vêtue comme une impératrice, et elle est entourée d'anges et de femmes dont le sens symbolique pose encore des questions aux historiens. Au-dessus de cette scène descendent la déesse de la victoire, la "Niké" comme dans l'art impérial, l'archange Gabriel, et la colombe. Aux pieds de Marie se trouve une corbeille avec de la laine pourpre avec laquelle, selon les apocryphes, elle a tissé le rideau du temple. Ce motif de la servante du temple persistera encore longtemps dans l'iconographie de l'Annonciation tandis que la représentation de l'archange qui descend fut abandonnée.

Les représentations de l'Annonciation jusqu'à l'iconoclasme, peu nombreuses et seulement en forme de relief ou d'enluminures (2)

(2) Pour citer quelques unes des oeuvres les plus importantes - tablette de la cathédrale de Maximien à Ravenne (vers 556) - ampoule de Monza (VIe - VIIe s.) évangile de Sinope (VI e siècle) Bibliothèque Nationale de Paris - évangile d'Etchmiadzine (VI e siècle)

 montrent déjà le type classique de l'Annonciation. L'archange s'approche par la gauche : il exprime le message le message par son geste de bénédiction. La Vierge se tient debout devant un trône, dans une attitude digne et soutenue. Au fond apparaissent des architectures très simplifiées, en forme de portique. La sobriété de la composition, son caractère plutôt statique et les mouvements très modérés reflètent clairement le style impérial auquel ces oeuvres appartiennent. Cette conception n'exprime pas seulement un idéal de grandeur ;  elle est, par l'abstraction des détails historiques et narratifs surtout le reflet de la théologie, du dogme. Elle se maintiendra dans l'iconographie jusqu'au XIIIe siècle.

Le modèle théologique : l'Annonciation d'Oustoug

 Une des oeuvres les plus importantes de ce style est l'icône de l'Annonciation d'Oustioug, du XIIe siècle du XIIe siècle, de l'école de Novgorod, appelée aussi "Mère de Dieu de l'Incarnation. Son caractère est souligné par le fond d'or, lieu du mystère et symbole de la lumière de Dieu. C'est ce fond d'or qui transpose la scène du monde terrestre dans la gloire de Dieu.  

En haut de l'icône, dans l'hémisphère céleste apparaît Dieu le Père entouré des Séraphins. Suivant le texte de Daniel, ils est appelé "Ancien des jours", son vêtement blanc comme la neige, les cheveux de sa tête purs comme la laine. Son trône était flammes de feu ... " (Dn 7.9)  

Introduisant ce motif de l'Ancien Testament pour la première fois, cette icône montre l'aspect trinitaire de l'Annonciation. Dans sa grande miséricorde, Dieu s'unit aux hommes, et cette action de salut est l'oeuvre des trois des trois personnes  existant dans une seule nature  divine. " Ô mystère ! Inconnu est le mode de cette conception. Un ange s'emploie à cette merveille : le sein d'une Vierge reçoit le Fils : l'Esprit saint est envoyé ; le Père, du haut des cieux, s'y complaît et cette union s'accomplit selon une commune volonté : sauvés en Lui et par Lui, unissons nos voix à celle de Gabriel et crions à la Vierge :" Salut, pleine de grâce !"

Face à la Mère de Dieu se tient l'archange Gabriel prononçant les paroles de l'Annonciation (Lc 1. 26 - 38). Ses vêtements paraissent légers,, aériens, conformément à sa nature incorporelle. Le regard de ses grands yeux et le geste de sa main, retenu et respectueux, sont dirigés vers Marie. L'être spirituel s'adresse à la créature terrestre avec beaucoup d'humilité, car il sait que la jeune fille sera le temple du très-haut dont lui est le serviteur. Et il sait que d'elle, de sa réponse, dépend le sort de toute l'humanité, "L'archange Gabriel fut envoyé du ciel pour annoncer à la Vierge sa conception ... Il réfléchissait en lui-même à cette merveille et fut  frappé d'admiration : "Comment ! Celui qui, au plus haut des cieux, est incompréhensible, va naître d'une Vierge ! Celui qui a le ciel pour trône et la terre pour escabeau, va être contenu dans le sein d'une femme ! Celui vers lequel les anges aux six ailes et aux yeux innombrables n'osent lever le regard, a daigné, par une seule parole, s'incarner dans cette créature ! C'est le Verbe de Dieu qui est présent !" (2)

(2) Stichères des lucernaires, 2e ton.

La vierge, qui se tient debout, incline sa tête vers l'archange dans une attitude pleine de grâce. Son visage aux grands yeux et aux sourcils accentués, tourné vers le spectateur, exprime l'émotion et la joie de ce moment. Tout en l'écoutant, elle continue à filer la pourpre pour le rideau du temple, tandis que sa main droite se lève vers son Fils dont les contours apparaissent à travers le maphorion de couleur rouge cerise intense, contrastant avec le bleu foncé de la robe.

C'est la première fois qu'un iconographe inconnu du XIIe siècle ait représenté le mystère de l'Incarnation en traçant en traits l'Enfant sur la poitrine de sa mère. On a cherché le prototype  de ce motif dans la mosaïque de la Dormition (1) ou dans la "Nikopeïa" de Constantinople, mais il paraît plus

(1) cf.  Konrad Onasch "Icônes" Ed. René Kisters; Genève/Union Verlag Berlin 1961, p. 354

que l'artiste ait été inspiré  par les chants de la liturgie :

" Le chef des puissances angéliques, fut envoyé vers la pure Vierge par le Dieu tout-puissant   pour lui annoncer la bonne nouvelle d'une étrange et indicible merveille en tant qu'homme, Dieu devait, sans semence, se faire enfant en elle pour renouveler le genre humain tout entier. Peuples, annoncez la bonne nouvelle de la création du monde (2)

(2)  Exapostilaire des matines de l'Annonciation, Mercenier les prières des Eglises du rite byzantin Ed. de Chevetogne 1953 II , 1. p; 369

Le modèle narratif

Vers le XIVe siècle, sous l'influence des nombreux panégyriques sur la fête et des hymnes liturgiques une nouvelle conception apparaît dans l'iconographie de l'Annonciation. Dans un style dynamique, elle exprime moins les dogmes mariologiques des premiers conciles comme cela avait été le cas auparavant, que plutôt le dialogue entre l'archange Gabriel et la Vierge, et dans ce dialogue apparaît le drame personnel de la Mère de Dieu et de son Fils. Grâce à cette opposition, le caractère statique de la composition ancienne se transforme en une composition dynamique dans laquelle le mouvement saisit tous les éléments.

L'archange ne se tient plus debout devant la Vierge mais descend du ciel ou bien s'avance avec élan vers elle. Le geste de sa main, ses ailes ses vêtements participent au mouvement. La vierge, le plus souvent assise sur le trône, exprime son étonnement devant ce visiteur céleste ; elle est troublée, elle manifeste la peur de la créature touchée,  par le mystère de Dieu. Parfois, elle esquisse un signe de consentement ou laisse la laine pourpre glisser de sa main. L'architecture elle aussi est transformée ; dans un mouvement encore accentué par la perspective inversée, les simples portiques deviennent des constructions imaginaires qui font penser à un temple, symbole de la Vierge elle-même. Par cette orientation esthétique, la scène entière un monde clos. Les gestes et regards restent à l'intérieur de la scène et ne se dirigent plus vers le spectateur qui, lui,  regarde de l'extérieur.

Il est étonnant que celui qui est le véritable acteur de l'Annonciation, celui de qui dépend tout, l'Esprit Saint, troisième personne de la Trinité, soit représenté d'une manière très discrète. Ceci correspond au récit de l'évangile où il est simplement mentionné. Cela correspond également au caractère au  même de la personne divine. Il est d'ailleurs presque absent dans les oeuvres des premiers siècles. La mosaïque de Sainte Marie Majeure peut à ce titre être considérée comme une exception. Nous pouvons peut-être voir dans ce fait l'influence d'une spéculation des Pères grecs qui cherchaient à savoir de quelle manière la conception du Fils de Dieu par Marie s'est faite.

Plusieurs auteurs ont avancé la thèse suivant laquelle la Vierge aurait reçu le Verbe par l'écoute, en entendant la parole d'un ange, Ephrem le Syrien compare ainsi chute du genre humain, provoquée par l'écoute d'Eve, à la rédemption qui est le fruit de l'écoute de Marie (1)

(1) Migne s. gr. t. XC II, col, 809 450 XLII

Les hymnographes de la fête (2) expriment dans quelques passages de l'office les mêmes idées. Quoi qu'il en soit, l'iconographie commence à symboliser l'Esprit par de simples rayons qui descendent sur Marie. Plus, elle se servira de symbole de la colombe., clairement indiqué déjà dans la scène du      

(2) Migne s. gr. t. CXXVII, col. 653 (v. N  Pokrovski p.21)

baptême du Christ. La figuration de Dieu le Père dans une hémisphère céleste fut abandonné et finalement  et finalement interdite par le Concile de Moscou en 1666. De même fut interdite une figuration où le souffle du Père descend dans le sein de la Vierge, figuration jugée inutile (3)

(3) Actes du Concile de Moscou 1666/67 Ed. Bratsva sviatovo mitropolia - Petra, Moskva 1881

Seul le symbole de la colombe fut admis, cela pour les fêtes de l'Epiphanie, et de l'Annonciation.

 Dans l'art post-byzantin, l'icône de l'Annonciation participe à l'évolution générale qui va vers son style narratif tout en conservant les motifs classiques. On ajoute des scènes de genre, on transfère l'événement dans l'intérieur d'un château, on ajoute des paysages à l'exemple de l'Occident où, depuis la Renaissance, l'Annonciation se déroule dans un décor qui est celui de l'époque. La tendance à décrire le récit de l'évangile dans tous les détails, conduit même à exécuter plusieurs panneaux représentant les étapes du dialogue entre Gabriel et la Vierge, comme à Sucevitsa (Moldavie, vers 1600) où quatre scènes de l'Annonciation apparaissent l'une à côté de l'autre l'une à côté de l'autre. Cette série contient une scène décrite  dans le Protoévangile de Jacques et appelé "l'Annonciation, près de la source ou encore "la Pré-Annonciation". Cette représentation apparaît pour la première fois sur la couverture en ivoire de l'évangile de la cathédrale de Milan, du Ve ou VIe siècle. Elle se répandit par la suite et nous la trouvons à Saint Marc de Venise (XIe siècle) à la Sainte Sophie de Kiev (XIe siècle) et dans le cycle marial de Karié-Djami à Constantinople (début du XIVe siècle). Quant aux icônes de ce type, elles évoquent une scène qui montre Marie , debout ou un genou à terre, s'apprêtant à puiser l'eau dans une source au pied d'un arbre. Surprise par un ange qui lui parle, elle se tourne et lève la tête . Cette évocation provient du Protoévangile de Jacques qui raconte à propos de Marie :

" Or, elle prit sa cruche et sortit pour puiser de l'eau. Alors une voix retentir : "Réjouis-toi, pleine de grâce. Le Seigneur est avec toi, Tu es bénie parmi les femmes." Marie regardait à droit et à gauche : d'où venait don cette vois ? Pleine de frayeur elle rentra chez elle, posa sa cruche, prit la pourpre, s'assit sur sa chaise et se remit à filer (Protoévangile de Jacques 11.1)                                                                              

Très tôt, vers le VIe siècle, l'Annonciation fait partie du programme de décoration des Eglises. Au XIe et XIIe siècle, il y eut un nombre considérable de mosaïques de ce sujet : aux XVIe et XVIIs ce furent le fresques. La scène est habituellement représentée en deux parties figurant sur les piliers qui se trouvent entre le sanctuaire et la nef, l'Archange Gabriel à gauche, la Vierge à droite (1)

(1) France, Quéré, Evangiles apocryphes, Ed. du Seuil Paris 1983 p. 75

A partir du XVe s. quand l'iconostase aura trouvé sa forme définitive comportant plusieurs rangées allant jusqu'aux voûtes, l'Annonciation prendra une place centrale sur les Portes Royales qui s'ouvrent vers le sanctuaire. C'est par ces portes que passent les processions avec le livre de l'évangile et les saints dons, c'est ici que les fidèles reçoivent l'eucharistie. Ainsi, chaque fois que l'eucharistie est célébrée, le mystère de l'Annonciation reçoit une nouvelle actualisation. En même temps, l'Annonciation sur les portes royales exprime Virginité et Incarnation dans la personne de Marie. Les portes fermées (2) symbolisent la virginité (3) les portes ouvertes signifient que c'est par Marie que les fidèles ont accès aux mystères de la foi et à l'union avec Dieu dans l'eucharistie. C'est justement dans cette

(2) p.ex.. mosaïques Monastère Vatopédi au mont Athos Sainte Sophie de Kiev, Daphni XIe s. Capella Palatina de Palerme XIIe s. Fresques, Athos Kontlonmons, Chilandari Lavra (XVI es.) Cathédrale de Rostov sur le Don. Saint Jean Baptiste et Saint Elie Iaroslav (XVII e s.)
(3) C'est peut-être aussi, le sens de la porte fermée sur l'arc triomphal de Sainte Marie Majeure.

évolution artistique qu'apparaît l'importance de l'Annonciation pour la vie de l'Eglise. C'est pur cette raison que l'Annonciation fait partie des douze grandes fêtes de l'Eglise byzantine.

Le modèle dynamique ; l'Annonciation d'André Roublev

e ode, 3)Les icônes de l'Annonciation appartenant à ce modèle sont le reflet du récit de l'évangile, interprété à la lumière des offices liturgiques qui, eux, sont influencés par les apocryphes. Voilà les trois sources d'inspiration qu'il faut avoir présentes à l'esprit lorsque l'on veut interpréter   l'icône. Dès lors, elle s'ouvre à nos regards et nous présente toute sa richesse théologique et spirituelle.

Mais le récit impose aussi un choix à l'iconographe, car le dialogue évolue en plusieurs étapes : salutation de l'Ange, révélation du plan de Dieu, inquiétude de la Vierge, réponse de l'ange et, finalement le consentement. Comme l'icône ne peut saisir qu'un seul moment à la fois, l'iconographe devait choisir l'attitude dans laquelle il voulait représenter les personnages. Il est vrai que le choix ne semble pas toujours très précis, mais il est à l'origine des variations de ce type d'icônes.

L'icône d'André Roublev que nous proposons, montre le moment du consentement de la Vierge. Par la finesse de son dessin, la richesse de son coloris où dominent les tons rouge et vert, opaques et transparents dans lesquels la noblesse de la nature humaine est intimement unie à la grâce ; ce chef d'oeuvre est un reflet de la réalité divine. Mais laissons la parole aux auteurs du canon des matines, Saint Théophane de Marqué, évêque de Nicée (+ 843)  et Saint Jean Damascène (+ 740) Ce canon est un long poème composé de neuf odes. Chaque ode débute par une introduction du poète et continue par des strophes qui expriment la pensée de l'ange et de la Vierges, merveilleux dialogue plein de vie et de piété. voici quelques extraits qui sont en même temps l'interprétation liturgique de l'icône de l'Annonciation :

 

La salutation de lange.

 

Le poète :

Qu'il vous chante, ô ma Dame, sur la lyre de l'Esprit, David, votre aïeul : "Ecoutez, ma fille, la voix mélodieuse de l'ange qui vous révèle un ineffable bonheur."

L'ange :

"Je vous crie joyeux : Inclinez l'oreille et écoutez-moi vous annoncer la virginale conception de Dieu car vous avez trouvé grâce devant le Seigneur comme jamais aucune autre, ô toute pure".

 

La Mère de Dieu

Puissè-je comprendre ô ange la valeur de tes paroles ! Comment ce que tu viens de dire se fera-t-il ? Dis clairement comment je concevrai, étant fille et vierge et comment aussi je deviendrai la mère de ton créateur" (1ère ode)

Le mystère de la conception virginale

L'ange

Vous cherchez à savoir de moi le mode de votre conception, ô Vierge, mais il est inexplicable ; c'est l'Esprit Saint qui, vous couvrant dans son ombre, l'opèrera par sa puissance créatrice." ( 3e ode;3)

La Mère de Dieu

Qu'une Vierge sacrée doive enfanter c'est ce que j'ai appris du prophète antique qui présidait l'Emmanuel ; mais il me reste à savoir comment une nature mortelle supportera d'être mêlée à la Divinité" (4e ode; 2)

L'ange :

" Le buisson qui recevait la flamme sans se consumer, ô Vierge pleine de grâce, vous a expliqué l'indicible mystère qui vous concerne ; après votre enfantement, ô pure, vous demeurerez toujours vierges "(4e ode)

Les craintes de la Vierge.

La Mère de Dieu :

Ma première mère, ayant accepté les suggestions du serpent, fut exclue des délices divines. C'est pourquoi moi, je crains ta si étrange salutation, car je me garde de périr" (3e ode, 2e tropaire)"

L'ange

Assistant au trône de Dieu,, je vous  ai été envoyé pour révéler la divine volonté ; pourquoi me craindre ô toute Pure, c'est moi qui plutôt  vous crains "... (3e ode, 4e tropaire)

La Mère de Dieu

Celui qui pour tous est incompréhensible, et pour tous invisible, comment pourra-t-il habiter le sein d'une Vierge que Lui-même a créée ? Comment encore concevrai-je Dieu le Verbe qui est sans commencement comme le Père et l'Esprit ? (5e ode, 3e tropaire).

L'ange :

Vénérable, lui dit de nouveau l'ange, les paroles que vous me dites concernent les enfantements ordinaires des mortels. Mais c'est le véritable que je vous annonce : il s'incarnera en vous  de la manière ineffable et inconcevable qu'Il connaît. C'est pourquoi, joyeux, je m'écrie : Bénissez le Seigneur, toutes les oeuvres du Seigneur" (8e ode, 4e tropaire)

Le consentement

La Mère de Dieu

Je reçois avec joie tes paroles, Gabriel, et me voici remplie d'un bonheur divin, car ce que tu me révèles là, est une joie sans fin" (6e ode 1er tropaire

L'ange

C'est à vous qu'est donnée Mère de Dieu, la joie divine, à vous que toute créature crie son salut, ô Epouse divine, car vous seule ô Pure, avez été prédestinée être la Mère du Fils de Dieu"..

"Salut, Maîtresse, salut Vierge toute pure ; salut réceptacle de Dieu, salut lampe lumineuse, réconciliation d'Adam, rédemption d'Eve montagne sainte, sanctuaire brillant, chambre nuptiale de l'immortalité (7e ode, 2e tropaire)

La Mère de Dieu

Elle va s'unir à un corps matériel. Elle a sanctifié mon elle a purifié mon corps, elle a fait de moi un sanctuaire renfermant Dieu, un tabernacle divinement orné, une enceinte spirituelle et la pure Mère de la vie, la venue en moi du Très saint Esprit (7e ode, 3e tropaire)

 


 

Cette fête de l'Annonciation de l'annonce de la grâce a été évoquée d'une triple façon dans ces pages à travers un triple type d'icônes ce qui permet de mieux comprendre et la richesse dogmatique de cette fête et donc l'importance qu'en effet elle occupe dans la liturgie et dans la foi chrétienne. Il s'agit de proclamer le mystère de l'Incarnation.

Cette célébration de l'Incarnation tend d'abord à proclamer la miséricorde divine envers sa propre créature : l'humiliation volontaire du Verbe de Dieu qui, par amour, vient nous rejoindre dans la chair. Cette fête célèbre aussi l'accueil par l'humanité de ce don de Dieu : cette humanité sainte est représentée par Marie qui, dans la surprise, la soumission et la foi, entre dans le mystère du salut.

Pour reprendre la formule de Nicolas Cabasilas :

" L'incarnation fut non seulement l'oeuvre de Dieu, mais aussi l'oeuvre de la volonté et de la foi de la Vierge. Sans le consentement de la Très Pure, sans le concours de sa foi, ce dessein était aussi irréalisable que sans l'intervention des trois Personnes divines elles-mêmes."

 C'est cette double vérité - le Dieu sauveur et l'homme sauvé - que célèbre cette fête qui devient ainsi notre propre fête. Telle est bien la leçon qui nous est donnée, avec une joie retenue dans le tropaire de l'Annonciation :

"C'est aujourd'hui le début de notre salut et la manifestation du mystère éternel. Le Fils de Dieu devient le Fils de la Vierge et Gabriel annonce la grâce. C'est pourquoi nous crions avec lui à la Mère de Dieu : " Salut, Pleine de grâce, Le Seigneur est avec vous."

 

 

Egon Sendler dans N° 79

 

 



25/07/2016
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