La passion de l'archevêque Barthélémy
§ 1 Pour lever le doute.
Le 1er décembre 1934 fut assassiné à Leningrad Serge Mironovitch Kirov, secrétaire du Parti communiste de la région de Leningrad.
Kirov et Staline
Les historiens contemporains pensent que Staline fut l'instigateur de ce crime, selon le principe : "L'auteur est à celui à qui le crime profite.". L'assassinat de Kirov donna à Staline le motif de déclencher une terreur qui lui permit , de 1935 à 1938, d'éliminer par vagues successives tous ses adversaires, outre l'assassin, un obscur membre du parti, Nikolaïev, et treize complices, furent immédiatement exécutés 114 détenus qui n'avaient aucun lien avec l'affaire. Suivit l'exécution de 3.000 partisans de Zinoviev, supposé être à l'origine du crime 50.000 suspects par leur origine aristocratique, militaire , bourgeoise ou cléricale furent expulsés de Leningrad vers l'Oural et la Sibérie.
"En Russie, écrit Neveu le 24 février 1935, les événements prennent une tournure tout à fait tragique. Il semble que notre perte soit décidée... Dans la nuit du jeudi 21 au vendredi 22 février, il y eut une quantité de personnes arrêtées. Dans le nombre se trouve le cher et dévoué Mgr Barthélémy, qui était mon confesseur". De cette tragédie, les chapitres suivants raconteront l'histoire.
Quand "Rome et Moscou" fut traduit en russe dans une édition ronéotypée réservée au service au service du Département des Relations extérieures du Patriarcat de Moscou et puis par Dmitri Vlassov pour être publié en 1998 par les éditions Pout (La voie) grâce aux soins de Nikita Struve et à la générosité du Fonds Soljenitsyne, le passage de l'évêque Barthélémy (Remov) à l'Eglise catholique provoqua étonnement voire scandale "Nous l'estimions beaucoup , me dit Dmitri Vlassov à mon arrivée à Moscou en 1992, comme directeur spirituel et défenseur de la foi orthodoxe dans les années vingt et trente."
Quand en 1996 parut dans le numéro de mars de la revue Istina i Jisn (Vérité et Vie ) revue mensuelle des catholiques de Russie sous la direction du père Chmelnitsky, l'article d'Alexeï "Je suis prêt à tous le sacrifices" . L'affaire de l'exécution de l'archevêque Barthélémy Remov". un grand trouble gagna les plus fervents des orthodoxes : non seulement l'évêque qu'ils avaient aimé et qu'ils vénéraient comme un martyr, avait rallié l'Eglise catholique, mais encore apparaissait-il comme un collaborateur secret du NKVD.
Que Mgr Barthélémy soit devenu catholique est une évidence attestée par sa correspondance avec Rome et par les documents juridiques conservées dans les archives de la Curie généralice des Augustins de l'Assomption à Rome.
Qu'il ait signé un acte par lequel il déclara collaborer avec le NKVD est non moins certain. Mais la réalité montre que bien loin de collaborer avec la Lioubianka - si ce n'est à l'occasion des informations du tout-venant - Mgr Barthélémy collabora avec Neveu. De là, la grande colère de la Grande Maison.
Pour preuve de ces affirmations, qui risquent d'étonner plus d'un, je reproduis ici la lettre en français que Mgr Barthélémy envoya à Mgr d'Herbigny, le 10 août 1932 manuscrit conservé comme une relique Dans les archives des Assomptionnistes.
Mgr d'Herbigny
Monseigneur,
C'était une vraie joie pour moi de recevoir plusieurs lignes dans votre lettre pour Mgr Neveu. Je mets aux pieds du Saint-Père, mes humbles et vénérés remerciements, et ainsi mon devoir du cœur - pratiquer, confesser ma foi en oeuvres (Rom 10.10) c'est travailler avec Vous à la plus grande gloire de la Mère Eglise.
Je suis content de vous exprimer, Monseigneur, ma profonde reconnaissance (et combien je suis reconnaissant au cher Mgr Neveu ! ). Il est beau de connaître qu'il faut faire les oeuvres de Dieu, travailler pendant qu'il est jour, (Jean 9.4) Et je veux répéter avec vous les paroles de l'archange "Rien n'est impossible à Dieu" (Luc 1.37) Avec ces sentiments sincères et pleins d'onction, je me dis, Monseigneur, votre humble et dévoué serviteur.
Evêque Barthélémy
(Lettre manuscrite en français)
Cette lettre demande une explication. Le 6 juin 1932 , Neveu écrit à d'Herbigny: "Mardi 31 mai, je fus voir Mgr Barthélémy , qui ne cesse de me demander. Je lui annonçai que le Saint Père prie pour lui: Il parut très ému, se leva de son siège, fit devant moi une inclinaison profonde et me dit : "Si vous le pouvez, faites savoir à Sa Sainteté, combien je la remercie et que je me prosterne devant Elle jusqu'à terre."
Neveu évoqua alors devant Barthélémy, la possibilité laissée aux prêtres orthodoxes unis de ne point déclarer temporairement leur adhésion à Rome, en raison de la persécution. Dans le courrier suivant du 20 juin 1932. Neveu précise : "Vendredi 17 juin, j'ai pu voir Mgr Barthélémy dans l'église où il préside les offices. Il m'a dit que désormais il fait secrètement mention du Souverain Pontife à la liturgie. Il me demanda ensuite comment procéder afin de promouvoir l'idée de l'Union. Je lui dis qu'il faut prôner la nécessité publiquement l'idée de l'union dans les sermons, faire désirer l'union en expliquant le discours de Notre Seigneur après la cène, en développant l'histoire de l'Eglise avant le schisme, en faisant ressortir la force que donne l'Unité de l'Eglise aux chrétiens etc. Et en particulier, dans le cercle de ses pénitents, je lui proposai de créer une association modeste de prières pour l'Union, en y joignant des pénitences. Que le Bon Dieu daigne faire fructifier ces bonnes dispositions."
Ces lettres furent lues au pape par Mgr d'Herbigny le 9 juillet 1932, au cours de l'audience du soir de 20 à 22 heures. " Elles ont bien ému à plusieurs passages, consolé aussi, vrais : "Actes des Martyrs " répondit d'Herbigny à Neveu. Avec une bénédiction très spéciale pour vous et l'autorisation de bénir Mgr Barthélémy, comme le saint Père l'a fait, lorsqu'il a entendu les deux passages où vous parliez de lui. Cette inscription secrète dans les diptyques peut suffire, tant que la publicité est impossible ou imprudente. Encouragez-le à se regarder comme enfant du Saint Père et à conclure dans l'action de grâces qu'il a greffés sur la vraie vigne. Qu'il complète son instruction dogmatique. Soyez juge du temps."
Le 17 septembre 1932, Mgr d'Herbigny répondit à la lettre de Mgr Barthélémy. En voici le texte dont nous admirons la doctrine de la collégialité telle que le concile Vatican II la définira.
Enfin, le 21 novembre 1932, Neveu envoie à Rome la profession de foi catholique de Mgr Barthélémy : "Lundi dernier 14 novembre, je fus chez Mgr Barthélémy. La lettre et la profession de foi ci incluse vous montreront que le grand pas a été fait. Dieu soit loué. Que la Très Sainte Vierge Marie obtienne la grâce de la persévérance au cher évêque. Dans sa lettre, il avait même ajouté que si la chose était utile, il était prêt à embrasser le rite latin ; je lui ai expliqué que ce sacrifice ne lui serait pas demandé et que je préférais demander la permission de célébrer de temps en temps avec lui la liturgie slave si les circonstances nous permettaient de pouvoir concélébrer en secret. Il paraissait très heureux et fut plus cordial que jamais. Je pense que d'ici peu deux au moins de ses filles spirituelles qui ont toute sa confiance marcheront sur ses traces."
Nous avons tenu à clarifier d'emblée, au début de ce chapitre, le cheminement de Mgr Barthélémy, jusqu'à son adhésion formelle à l'Eglise catholique par sa profession de foi, signée par lui et envoyée à la Constitution "Pro Russia" . Il nous faut à présent revenir en arrière pour essayer de mieux comprendre cet itinéraire d'un évêque, éminent par la science théologique et par la pratique de l'ascèse orthodoxe.