Premières condamnations à Solovki
Antoine Wenger "Catholiques en Russie d'après les archives du KGB 1920-1960 DDB 1998
Premières arrestations des Sœurs Dominicaines
Nous nous sommes attardés sur le retentissement du procès de Mgr Cieplak et sur les imbrications avec les poursuites contre le Patriarche Tikhon (voir article précédant) Il faut revenir au procès de 1923 et souligner le sort différent qui échut aux catholiques russes de rite oriental.
Au cours du procès, l'exarque Léonide Féodorof reconnu avoir rédigé, avec l'avocat Kouznetsov la proclamation contre la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
L'exarque Féodoroff termina sa déposition par cette noble déclaration ;
Les églises catholiques-latines, fermées à l'occasion du procès, furent rouvertes au mois de juin 1923. A Julie Danzas qui demandait pourquoi cette mesure ne s'appliquait pas aux oratoires des églises russes, il lui fut répondu :
Premières condamnations à Solovki
Du 12 au 16 octobre 1923, furent effectivement arrêtés à Moscou, dans leur hôtel particulier de la rue Pretchistenka (de la très pure Mère de Dieu) transformé en monastère, Anna Abrikossova, le Père Nicolas Alexandrov, aumônier du groupe après le départ du père Vladimir, Donat Novitski, Vladimir Balachov, et dix religieuses, dont la sœur Imelda Serebriannikova et Galina Fadeievna Entkevitch. L'affaire qui porte le n° 21068, comporte l'accusation de liaisons avec Rome et de centre d'information concernant le procès Conradi. Russe blanc qui avait assassiné à Lausanne le 11 mai 1923, Vorovski, chargé des relations commerciales de l'URSS avec l'Italie. Les religieuses recueillaient en effet les informations de la presse soviétique au sujet du procès pour le père Abrikossof, qui avait formé à Rome un comité pour la défense des Russes-catholiques vivant à l'étranger, contre les tentations de latinisation. Les arrestations de Moscou furent complétées par celles de Petrograd. Le 17 novembre 1923 y furent arrêtés Julie Danzas, le Père Jean Deubner et le Père Epiphane Akoulov. Dans l'enquête de la personne arrêtée qu'Anna Abrikossova remplit le lendemain de son arrestation à la question : "Rapports envers le pouvoir soviétique" elle répondit :
Si le Guépéou était si bien renseigné sur les orientations du groupe et sur les dispositions intimes des sœurs , c'est grâce à sa méthode éprouvée qui consistait à introduire un espion dans le groupe : un jeune homme s'était fait admettre au nombre des laïcs dirigés par Anna Ivanovna et le père Nicolas Alexandrov, qui édifiait tous par sa piété. De même, des prêtres orthodoxes, qui en 1922 avaient fréquenté les réunions "unionistes", avaient accusé le groupe de constituer une organisation contre-révolutionnaire .
La conclusion de l'enquête sur l'affaire n° 21068 précise.
La sentence fut prononcée le 19 mai 1924. Anna Ivanovna fut condamnée à 10 ans de prison. De Ekaterinbourg, elle passera en 1926 à Tobolsk et de là en avril 1929 pour cause de maladie, à l'isolateur de Iaroslav. Le Père Alexandrov, les laïcs Donat et Balachov furent condamnés à dix ans de prison à Solovki, le Jean Deubner à l'isolateur de Souzdal, le Père Epiphane Akoulov à l'isolateur d'Alexandrovsk-sous-Irkoutsk. Julie Danzas, les sœurs E.V. Vakhiévitch et Entkevitch à la prison d'Irkoutsk et de là, au printemps 1928, à Solovki. Après cette dispersion, ne restèrent à Moscou qu'une sœur infirme, Tatiana Galkina et la jeune sœur Alexandra Balacheva, laissée pour la soigner; enfin, la dernière recrue, Anna Zolkina, Sœur Yacintha, âgée de 22 ans. La sœur Galkina mourut en 1926 et en 1927 la sœur Balacheva fut arrêtée.
La nuit du 19 août 1929, Neveu nous apprend que "deux religieuses dominicaines Les sœurs Vakhevitch avaient terminé leurs cinq ans de Solovki et comptaient être libérées. Leur vieille mère qui se meurt ici d'un cancer et qui ne vit que des aumônes du Saint Père, part pour Leningrad, afin de voir ses filles; on lui accorde généreusement une entrevue de vingt minutes !!! et on lui apprend que ses filles doivent encore aller trois ans, l'une en Sibérie, l'autre à Narym". En fait les deux sœurs furent reléguées à Kirensk, sur la route qui relie Touloune à Bratsk , tandis que la sœur Enkkévitch fut expédiée à Narym, sur le fleuve Ob, à 300 km au nord d'Irkoutsk.
Un monastère à Irkoutsk
Le groupe des catholiques latins.
Après l'expulsion de Mgr Ciéplak en 1924 qui avait suivi celle de Mgr de Ropp, archevêque de Mohilev en 1919, il n'y avait plus d'évêques catholiques en URSS. Or, il restait encore plus d'un million de fidèles catholiques latins en URSS dans les frontières définies en 1920 par le traité de Riga, qui mit fin à la guerre avec la Pologne. Ces fidèles étaient répartis dans les deux capitales, Moscou et Leningrad dans les régions de la Volga et sur les bords de la Mer Noire (colonies allemandes appelées par Catherine II ) et en Sibérie (exilés polonais depuis le partage définitif de la Pologne en 1792 jusqu'à la chute du Tsar en 1917). S'il n'y avait plus d'évêques, il restait quelques 200 prêtres, la plupart d'origine polonaise, pour le diocèse de Mohilev et une centaine, la plupart d'origine allemande, pour le diocèse de Tiraspol-Saratov, dont l'évêque, Mgr Kessler avait quitté son diocèse avec les armées blanches en 1921. En Ukraine restait une cinquantaine de prêtres latins du diocèse de Jitomir, une dizaine de prêtres de rite oriental dépendant du Métropolite Szeptizky et quelques dizaines de rite arménien au Caucase ou de rite oriental en Géorgie.
A Rome, le Pape Pie XI s'inquiétait de cette situation. N'ayant pas réussi, par la voie des négociations, à rétablir une hiérarchie catholique en URSS, il se décida à des sacres clandestins. L'instrument de cette politique fut le Père Michel d'Herbigny, recteur de l'Institut pontifical d'études orientales. A cet effet, il fut sacré en secret, alors qu'il était en route pour Moscou par Mgr Pacelli dans la chapelle de la nonciature à Berlin, le 29 mars 1926. Arrivé en Russie, il sacra à son tour Mgr Neveu le 21 avril 1926, en l'église Saint Louis des Français dans le secret en présence de deux témoins, comme administrateur apostolique de Moscou.
Mgr Frison , administrateur d'Odessa, et Mgr Sloskans, administrateur de Minsk, furent sacrés dans la même église.
Saint Louis des Français à Moscou
La Paroisse saint Louis des Français à Moscou
Construction
Par un accord conclu avec la France le 31 décembre 1786, les Français vivant en Russie reçoivent l’autorisation d’ouvrir leurs églises: une liberté totale de confession est accordée aux sujets français en Russie, et en vertu de la tolérance parfaite qui est octroyée à toutes les religions, ils peuvent accomplir librement les devoirs de leur religion, célébrer les offices selon leur rite aussi bien dans leurs maisons que dans leurs églises, sans jamais rencontrer pour cela aucune difficulté.
Au lendemain de la prise de la Bastille à Paris, le vice-consul de France à Moscou, Monsieur Condert de Bosse, demande à l’impératrice la permission de construire une église française à Moscou. La paroisse Saint-Louis-des-Français à Moscou fut créée par Catherine II en 1789 par un décret adressé au général Eropkine, commandant en chef à Moscou et chargé des questions religieuses. L’autorisation de construire est accordée le 5 décembre 1789 sur un terrain situé en plein cœur de Moscou dans le faubourg allemand.
En attendant que soient réunis les fonds suffisants pour élever l’église, les Français célèbrent leurs offices dans la maison du vice-consul. Ce n’est qu’au début des années 1830 que l’église actuelle est élevée. Le 24 novembre 1835, l’église française de Saint-Louis est consacrée par le vice-doyen de Moscou, Mgr Igor Motchoulevski, en présence «de toutes les autorités de la ville».
La paroisse comprend une communauté de 2 700 francophones catholiques en 1917.
Histoire
Après la Révolution d’Octobre, la plupart des églises de Moscou sont fermées ou détruites. Monseigneur Vidal, curé de Saint-Louis de 1913 à 1920, raconte dans sons livre («À Moscou durant le premier triennat») ce que fut la révolution pour l’église, le curé et les paroissiens.
L’église de Saint-Louis-des-Français reste l’une des seules églises à Moscou à pouvoir exercer le culte sous les auspices d’un très encombrant voisin – la Tchéka (ancêtre du KGB). Elle bénéficie cependant d’un traitement de faveur : le curé n’a pas à remettre au commissaire du peuple les sceaux, les tampons et les timbres blancs qui authentifient les actes de baptême, de mariage et de décès des paroissiens : d’autre part, il ne semble pas que l’ouverture des reliques, ordonnée par Lénine en 1922, pour dénoncer ce qu’il appelait la supercherie du clergé trompant les croyants par la vénération du corps des saints soi-disant incorruptibles, ait provoqué d’incidents à Saint-Louis.
Néanmoins, depuis le départ de Monseigneur Vidal en 1922, Saint-Louis n’a plus de desservant régulier. Il n’y a plus, pour assurer le culte catholique à Moscou, que deux prêtres ne comprenant que le polonais et le russe, et devant pourvoir aux besoins spirituels de 25 000 à 30 000 catholiques, aussi bien de langues française, allemande ou italienne que de langues russe ou polonaise.
Plusieurs fois, les soviets veulent fermer Saint-Louis malgré le dévouement parfois héroïque des paroissiens. Après le décret sur la saisie des biens précieux en Russie pour secourir les affamés, en avril 1922, le métropolite Antonin ordonne qu’on enlève les vases sacrés de l’église de Saint-Louis. Cette ordonnance ne trouve pas d’écho chez les paroissiens qui réunissent l’argent nécessaire pour éviter le sacrilège.
L’église Saint-Louis-des-Français devient, dans les années vingt le foyer vivant de l’Église catholique de toute la Russie. Son curé aide les prêtres des paroisses et les administrateurs apostoliques qui exercent leur ministère dans des conditions difficiles, sans revues ni livres, ni ouvrage de théologie. Après la vague de reconnaissances diplomatiques de 1924 et l’arrivée d’un curé français, Saint-Louis s’impose comme l’église du corps diplomatique.
Lorsque le Père Neveu arrive à Moscou en 1924, Staline occupe le poste de secrétaire général du parti, et la politique religieuse est son domaine réservé. Le « petit père du peuple » organise des mascarades blasphématoires et apporte son soutien aux athées militants.
L’église en Russie devient de plus en plus seule après l’accord passé entre les soviets et le métropolite Serge, le 29 juillet 1927. Elle ne peut compter que sur elle-même et rentre dans la clandestinité. Des nombreux pères, des évêques sont secrètement consacrés en l’église de Saint-Louis lors des visites du Jésuite Michel d'Herbigny, évêque clandestinement envoyé par le pape Pie XI.
La vie de Monseigneur Neveu, évêque de toutes les Russies, est un vrai calvaire. Il est constamment suivi. Bientôt tous les membres du clergé sont déportés, exilés ou fusillés. En même temps que la collectivisation se poursuit au prix de dix millions de victimes, la police participe à des rafles, à l’expropriation des dernières maisons et monte des procès truqués contre les prêtres catholiques et les fidèles, comme Mère Catherine Abrikossova ou Camilla Krouchelnitskaïa.
A l'occasion d'un nouveau voyage Mgr d'Herbigny ordonna évêque Maletski en l'église Notre-Dame de France à Leningrad.
Historique de l'église Notre Dame de Lourdes à Saint-Pétersourg
Avant la révolution
La paroisse est fondée[ en 1901 dans une chapelle provisoire, la plupart de ses fidèles proviennent de la paroisse Sainte-Catherine. L'église actuelle a été construite[2] en 1909 pour les besoins de la communauté catholique française, nombreuse à l'époque dans ce qui était la capitale de l'Empire russe, sur un terrain vendu en 1907 pour la somme considérable de soixante-sept mille roubles. Les deux marguilliers sont alors Auguste Hutinier et Georges Laugier. Elle est administrée au début par des religieux dominicains français[3]. Ses architectes sont Léon Benois et Marian Peretiatkowicz. Elle est consacrée le (22 novembre dans l'ancien style) par Mgr Jan Cieplak[4]. La paroisse compte environ mille cinq cents fidèles.
Après la révolution
Il ne reste plus que des Français trop âgés ou trop pauvres dans les années 1920 pour rentrer en France, ainsi que quelques Polonais. La paroisse ne compte plus alors qu'un peu plus d'une centaine de fidèles. Ses desservants dominicains doivent célébrer également dans les autres églises de la région dont les curés ont été arrêtés ou expulsés du pays, puis toutes les églises catholiques de Petrograd et de ses environs sont fermées en 1922. L'église Notre-Dame-de-Lourdes ne ferme qu'entre la mi-janvier 1923 et le 7 juin 1923. C'est ici que le 12 août 1926 Mgr d'Herbigny, sj, consacre évêque Antoni Malecki comme administrateur apostolique de Léningrad et de sa région, charge qu'il assume pendant neuf ans, entre périodes d'arrestations et d'interrogatoires. Comme il est expulsé en Pologne en 1935, le P. Jean Amoudru, op, curé de Notre-Dame-de-Lourdes, lui succède pendant quelques mois. Le vicaire de ce dernier, le P. Michel Florent, op, âgé de trente-trois ans, lui succède en tant que curé, puis lorsque Mgr Amoudru est à son tour expulsé, il devient le nouvel administrateur apostolique de Léningrad et du nord de la Russie. C'est à cette époque que la terreur stalinienne atteint son apogée, notamment en 1937-1938, lorsque des milliers de fidèles des différentes confessions chrétiennes trouvent la mort. Lorsque le gouvernement de Vichy rompt ses relations diplomatiques avec l'URSS à son entrée en guerre en 1941, le P. Florent, en tant que citoyen français, doit quitter le pays. Il demande d'y retourner sans succès en 1945. En partant, il donne les clefs et ses affaires personnelles à Rose Souchal, l'organiste de la paroisse, qui était avant la révolution gouvernante et institutrice de français[5], et qui sauve ainsi l'église des déprédations et des vols, pendant ces années de guerre et de blocus. Elle l'ouvre le dimanche pour qu'un petit groupe de fidèles puisse venir y prier dans la discrétion. Elle meurt en 1947[6].
Quelques mois plus tard, les organes d'État donnent la permission à l'évêque de Riga, Mgr Stringowicz, d'y nommer un nouveau curé après six ans, l'abbé Joseph Kazlas, âgé de soixante ans. Désormais, les desservants successifs proviennent des pays baltes et assurent une messe quotidienne, tandis que la rue est surveillée pour empêcher la jeunesse de s'y rendre et ne laisser entrer que des personnes âgées. Ce n'est qu'au printemps 1953, après la mort de Staline, qu'un évêque de Riga peut se rendre à Notre-Dame-de-Lourdes pour y donner le sacrement de confirmation à cinq cents personnes. Cinq mille personnes viennent se confesser. Un vicaire énergique de vingt-six ans, l'abbé Jan Butkiewicz, est enfin donné en aide au curé à partir de cette même année et fait revenir la jeunesse. Il fait l'acquisition d'un viel orgue[7] en 1957. En 1955, l'église Saint-Stanislas rouvre et il en devient le desservant. Les visites épiscopales de confirmation se font annuelles à Notre-Dame-de-Lourdes jusqu'en 1959, période où la répression contre les confessions chrétiennes s'intensifie. En 1963, il est interdit aux enfants de moins de seize ans de participer à toute cérémonie religieuse[8]. Un nouveau curé letton, l'abbé Pavilonis, est nommé en 1965 après la mort de l'ancien[9] et la paroisse reprend un certain souffle.
Mgr d'Herbigny ne procéda pas à d'autres sacres, évêques ou prêtres. Enfin, le Saint-Siège profitant de la fin de l'empire russe, créa le vicariat apostolique de Sibérie. , le 1er décembre 1921, érigé en évêché le 2 février 1923.