Le calvaire de Mme Ott et de sa fille Alice Ott

Le calvaire de Mme Ott et de sa fille Alice Ott

Alice Lapierre est née à Moscou en 1886, de parents français, lyonnais, responsables d'une société par actions, la KAMA. En 1907, elle épouse M. Albert Ott alsacien d'origine, sujet russe par sa naissance à Moscou en 1881, ingénieur, puis professeur d'hydrologie à l'Ecole des Ingénieurs (1)

Le livre des âmes de la paroisse Saint-Louis porte à la date du samedi 28 avril 1907 de l'écriture du Père Libercier : "A 6 h (18 h) mariage Ott-Lapierre (2e classe) . Foule considérable, temps magnifique. Quête par deux demoiselles d'honneur.

En 1912, naît leur fille Alice; un deuxième enfant, Louis meurt en 1919 faute de médicaments qui auraient pu le sauver. Quand l'abbé Vidal doit quitter la paroisse avec la colonie française, en 1920; il confie à Mme Ott  la responsabilité de l'église Saint-Louis-des-Français. En l'absence de prêtres français, elle demandait au doyen Zelinski de l'église voisine polonaise des saints Pierre-et-Paul des prêtres pour assurer la messe du dimanche. L'abbé Sloskans venait souvent, mais Zelinski aurait bien voulu faire de Saint-Louis une église polonaise. Mme Ott en gardait jalousement les clés.

De 1920 à 1925, jusqu'à l'arrivée de M. Herbette, premier ambassadeur de la République française auprès de l'URSS Mme Ott était en quelque sorte le représentant officieux des français restés en URSS. Edouard Herriot, qui fit en 1922 son premier voyage en Russie à titre personnel, l'avait confirmée dans cette mission qui consistait à distribuer aux français nécessiteux les secours, envoyés par le gouvernement français, via son ambassade en Pologne, à la légation polonaise de Moscou.

Quand M. Herbette arriva à Moscou le 5 janvier 1925, il prit naturellement contact avec Mme Ott et en 1926 l'engagea comme employée soviétique à l'ambassade de France.

Mgr d'Herbigny, qui fit un premier voyage d'inspection en octobre 1925, à l'occasion du Concile des Rénovateurs, apprécia le dévouement et le savoir faire de Mme Ott. En 1926, Mgr Neveu en même temps qu'administrateur de Moscou, était nommé curé de Saint-Louis. Les rapports entre le prêtre, responsable de sa paroisse devant Dieu et Mme Ott, responsable de l'église devant l'Etat, n'étaient pas toujours faciles. Dans ses lettre, Neveu l'appelle parfois "la colonelle".    

C'était une femme qui en imposait par son autorité. Elle connaissait les pièges de la législation soviétique sur les cultes et, protégée par l'ambassade de France, elle a sauvé, dans les circonstances les plus critiques; l'église Saint-Louis-des-Français.

En 1937, le 5 mars, M Albert Ott, son mari, fut arrêté dans la rue. Quand la police, vers 22 heures, vint perquisitionner la maison, Mme Ott et sa fille, comprirent qu'il était arrêté. Condamné à huit ans  d'ITL,

 il est mort à Vladivostok , peu après son arrivée dans le camp de transit, le 16 janvier 1938 dit le document de réhabilitation. Pendant la grande guerre patriotique, les deux Alice Ott, mère et fille, sont restées à Moscou, apportant aide et soutien au Père Braun qui, depuis août 1936, assurait le service paroissial, après le départ de Mgr neveu, car celui-ci, auquel on avait promis à Moscou que le visa de retour lui serait donné à Paris, ne put jamais rentrer en Russie.

 

L'arrestation de Mme Ott et de sa fille - Perquisition

La perquisition de l'appartement 35 de l'immeuble  1A de la rue Tchaplygine eut lieu le soir du 6 décembre 1947, en l'absence de ses deux occupantes. Assistaient le responsable de l'immeuble, Birger Moïse Pankoussovitch et la concierge, Anna Ivanovna Ivanovna. Après la saisie des documents, les scellés furent apposés aux deux chambres. Les canaris et le chien furent confiés provisoirement à la garde du portier, auquel on donna également les trois pains blancs, 7.2 kilos de pommes de terre et 3 kilos de gruau trouvés à la cuisine.

Dans le même temps, la nuit tombée, la mère et la fille étaient arrêtés dans la rue par les agents du MGB.  

C'était un samedi entre 18 et 19 heures. Cet après-midi de samedi les deux femmes ne travaillaient pas à l'ambassade. Sans doute se trouvaient-elles à l'église pour préparer la messe. D'ordinaire, elles y allaient ensemble et de là, 12, rue de la petite Lioubianka, elles s'en retournaient à pied, chez elles, 1A rue Tchaplygine, profitant de ce chemin pour faire leurs courses. Il en alla autrement ce soir-là. Le NKVD, expert en la matière, savait parfaitement où elles étaient l'une et l'autre et qu'il serait possible de les arrêter séparément sans faire d'esclandre public.

Il faisait froid ce 6 décembre 1947 et les deux employées étaient chaudement vêtues. De chez elles, elles ne pourront rien emporter et personne ne pourra jamais rien leur apporter, ni vêtement ni argent. Elles étaient arrivées séparément à la prison de la Lioubianka vers 21 h. Le questionnaire concernant l'une et l'autre fut rempli par la même personne. A la question : "Condamnation antérieure, il mentionne pour Alice Ott : "Du 6 juillet 1941 au 4 septembre 1941, a été sous enquête du NKVD à la prison de Boutyrki". Furent alors faites les tristes photographies de la prison, face et profil, et prises les empreintes digitales. Nous ne savons rien sur les conditions de leur détention à la Lioubianka. Elles n'apprendront que plus tard par le déroulement des interrogatoires qu'elles étaient arrêtées toutes les deux et se trouvaient l'une et l'autre dans la même prison, tout près de Saint-Louis. Elle ne se verront que dix ans plus tard. Comme les cloches de l'église sonnaient le dimanche, elles auraient pu en conclure qu'elles étaient enfermées à la Lioubianka. Mais il y avait bien là des cellules  insonorisées dans les caves profondes de l'établissement.

L'ordre d'arrestation, émané du Ministère de la Sécurité d'Etat porte le numéro 3717 pour Mme Ott

 et le N° 3718 pour sa fille.  

Le décret d'arrestation porte la mention : "Je confirme" et la signature d'Abakoumov, ministre de la sécurité d'Etat, le 7 décembre. Les motifs sont, pour l'arrestation de Mme Ott.

1. Les informations données à la Préfecture de police à Paris, en 1927 sur les dispositions politiques des Français vivant en URSS:

2. Une adresse envoyée au Vatican en 1936, calomnieuse pour l'URSS.

Pour l'arrestation d'Alice Ott, sa fille: espionnage et dispositions hostiles envers l'URSS.

 

Episode de la guerre froide.

Pourquoi Mme Ott et sa fille ont elles été arrêtées ce samedi 6 décembre 1947? Elles étaient sous la menace de l'arrestation depuis 1938, après les "aveux" du mari, Albert Ott, de complicité d'espionnage.

D'ailleurs la fille, Alice Ott, avait été arrêtée le 4 juillet 1941 et n'eût été  la démarche de la Grande-Bretagne, puissante et incontournable alliée, elle aurait bien pu passer dans les camps le restant de ses jours.

1947 marque le début de la guerre froide entre les deux blocs, anciens alliés et devenus adversaires. Dès mai 1946, Churchill avait dit à Fulton (Missouri, USA)"Un rideau de fer s'est abattu sur l'Europe". En mai 1947, paraît en France le livre accusateur de Viktor Kravtchenko, "J'ai choisi la liberté". En automne 1947, des grèves très dures avaient conduit à l'arrestation d'agents soviétiques en France. Mesure de rétorsion donc et première opération de grève froide? On serait tenté de le croire, car ce 6 décembre furent arrêtés à Leningrad Mme Bovard; à Lvov Mme Vassaux-Sommer ; d'autres à Riga. Mais ces femmes étaient françaises et seront finalement expulsées d'URSS et refoulées vers le secteur français de Berlin.

Les alliés s'étaient engager à livrer à l'URSS ses ressortissants, prisonniers de guerre dans leurs zones respectives. Plus de deux millions furent ainsi remis au NKVD, dont la plupart seront condamnés aux camps pour trahison. 102481 furent livrés par la France: prisonniers des Allemands, militaires russes  qui avaient suivi le général Vlassov, travailleurs forcés. Comme la mission de rapatriement  soviétique avait enlevé des transfuges jusque sur le propre territoire français, le gouvernement fit investir, le 14 décembre 1947, le camp de Beauregard, affecté à la mission russe de rapatriement. Ce climat de guerre froide ne pouvait qu'envenimer l'atmosphère du procès de Mme Ott et de sa fille et rendre impossible toute tentative de l'ambassade de France de leur venir en aide.     

     



26/02/2016
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