Le procès dit de la conspiration catholique contre la vie de Staline

Extrait du chapitre 2 "Le chemin de croix d'Anna Abrikossova

Paragraphe 3

Le procès dit de la conspiration catholique contre la vie de Staline

Ce procès porte dans les archives du NKVD le titre "Affaire n° 2373", concernant vingt-quatre personnes : moniales dominicaines, laïcs catholiques, jeunes étudiants. Les premières arrestations eurent lieu du 27 au 30 juillet 1933. Ecoutons ici encore le témoignage privilégié de Mgr Neveu, qui annonce ces arrestations à Mgr d'Herbigny , le 14 août : "Dans les premiers jours d'août, j'apprends l'arrestation de deux de mes pénitentes, dans la nuit du 27 au 28 juillet : cette demoiselle Olga (j'ai oublié son nom de famille à désinence allemande), qui fit son abjuration l'hiver dernier, et sa compagne de domicile et de service, Mlle Camilla Krouchelnitskaïa, âgée de 40 ans, personne très sérieuse et de grande piété, faible de santé, dont la sœur, Sœur Jadwiga est Fille de la Charité à Varsovie, Tamka n° 35. Pendant la perquisition, on saisit une bible en polonais, quelques livres et les lettres que Mlle Camilla échangeait avec sa sœur par la poste.

Quelques jours se passent et, de Kostroma, arrive la socia de la Révérende Mère Anna Ivanovna Abrikossova, rapportant que cette dernière  a de nouveau été arrêtée  le 5 août, au lendemain de la Saint-Dominique. Mlle Krouchelniskaïa est instruite: de jeunes filles des Komsomolski, deux surtout, se réunissaient chez elle pour lui demander des explications sur la religion; ces jeunes filles se disaient mécontentes et dégoûtées du matérialisme. Pendant son dernier séjour ici, la Mère Abrikossova avait fait visite à Mlle Camilia et y avait deux fois rencontré de cette jeunesse , que les idées et la mode commencent à révolter: y a-t-il eu bavardage? La Mère, très surveillées ici, a-t-elle été suivie? Tout cela est possible.

Chez Mlle Camilia on avait saisi les Procès-verbaux sionistes de Niolus (les protocoles des Sages de Sion) ouvrage considéré comme super-contre-révolutionnaire  et qui lui avait été prêté par un "ouvrier" russe, habitant la même maison. Que s'est-il passé à la prison du Guépéou? Le fait que ce pauvre ouvrier a été arrêté à son tour, et c'est un orthodoxe, ce qui semblerait faire croire que l'une ou l'autre des deux amis a parlé... Notez, cher Seigneur, que la Mère Abrikossova a été arrêtée cinq minutes après avoir reçu de parents, qui sont en France, un mandant de 200 francs sur le Torgsin (magasin réservé, où les privilégiés peuvent payer en devises): on a emporté les adresses qu'elle avait  et les livres manuscrits. traductions russes d'ouvrages de piété et d'ascétisme. Elle est partie entre les deux agents du Guépéou, malade comme elle est, les deux mains dans les poches, absolument sans rien du tout ; quelle femme... Mlle Olga est transférée à la prison de Boutyrki. On ne sait rien au sujet de la révérende Mère Abrikossova, malgré toutes les diligences faites pour savoir où elle se trouve".

 En même temps que Camilla Krouchelnitskaïa, fut arrêtée une jeune étudiante de l'université de Moscou, Anna Brilliantova. (5)

(5) Anna Brilliantova, née en 1909, avait été exclue de l'université de Tcheliabinsk, pour propos antisoviétiques. Son père avait été victime de la répression. A Moscou, Anna pu néanmoins poursuivre ses cours à l'université mais fut membre du groupe des étudiants en biologie du cercle Lamsomol, qui suivait les théories de Lamarck sur la supériorité des classes intellectuelles. La Russie allait mal, parce que l'on avait éloigné les anciennes classes dirigeantes de la noblesse et de la bourgeoisie. Note de l'Auteur         

Elle fut interrogée sans relâche les nuits du 28 juillet au 31 juillet, après quoi les enquêteurs obtinrent d'elle l'aveu de tous les crimes imaginaires, et notamment le dessein qu'elle avait formé d'assassiner Staline. Elle déclara notamment : "Quand je suis arrivée à Moscou en 1931, je suis tombée entre les mains d'un groupe catholique missionnaire. Il considère le pouvoir soviétique comme un pouvoir basé sur la force et l'oppression du peuple. Comme je me considérais moi-même comme adversaire du système soviétique, j'estimais de mon devoir de lutter contre ce pouvoir par tous les moyens, y compris l'acte terroriste individuel. L'espionnage, le sabotage et l'acte terroriste étaient considérés par moi également valables."

Plus loin, elle déclare : " J'ai fixé mon choix sur Staline, parce que l'élimination de Staline devait susciter de grands bouleversements politiques dans le pays. L'élément fondamental qui me poussait était le désir de venger les souffrances du peuple dont, à mon sens, le responsable était Staline."

Je note que Anna Brilliantova n'est jamais nommée dans l'abondante correspondance de Mgr Neveu. Si néanmoins le procès de la conspiration contre la vie de Staline est imputé aux catholiques, c'est qu'effectivement Anna Brilliantova a été en rapport avec Camilla Krouchelnitskaïa. "Souvent dans ses conversations avec moi, déclara Anna Brilliantova aux enquêteurs, Krouchelnitskaïa disait que le principal responsable de ce qui arrive à la Russie était Staline. 

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Staline

 

Pareille imputation est manifestement incompatible avec les dispositions de la prisonnière catholique, qui, il est vrai, n'a pas craint de déclarer son hostilité au pouvoir soviétique, mais n'aurait jamais, en vertu même de ses convictions religieuses, commis un crime contre le pouvoir établi:

"Je me considère, déclare-t-elle au cours des interrogatoires, adversaire du système soviétique. La raison fondamentale est l'absence dans la Russie soviétique des libertés civiles. Comme croyante, j'estime qu'en Russie soviétique  il est impossible de professer ouvertement sa foi. Les Eglises des différentes orientations sont persécutées et les meilleurs enfants de l'Eglise sont victimes de la répression."

Pourtant Anna Brilliantova déclara que, lorsqu'elle fit connaître à Camilla Krouchelnitskaïa sa décision, celle-ci lui dit : "Je te bénis pour cela." Elle lui fit voir alors la nécessité de garder le secret de la conspiration, de changer de coiffure et d'habillement, pour être moins remarquée et éviter les possibles filatures.

Pour étayer la vraisemblance du projet d'attentat, on arrêta la nièce de  Camilla Krouchelnitskaïa,  Vera Krouchelnitskaïa qui connaissait le fils du commissaire de la Défense Kliment Vorochilov, Pierre. Par elle on pensait pénétrer au Kremlin et avoir le plan des appartements de Staline. A cette jeune fille, les enquêteurs après traitement, promirent la liberté, si elle signait les accusations contre   Camilla Krouchelnitskaïa et Anna Brilliantova. " Elles ont fait naître en moi, déclara-t-elle, la haine de Staline et des autres chefs en affirmant qu'il est responsable des malheurs dont souffre le peuple russe. Eux, jouissent de tous les biens, alors que leur direction a conduit le pays et le peuple à la famine et à la misère. En m'entretenant de leur plan terroriste, elles m'ont demandé où et comment étaient situés les appartements et les datchas de Staline et de Vorochilov et de quelle manière on pouvait pénétrer au Kremlin".

   Картинки по запросу Vorochilov

 Vorochilov Kliment

Les enquêteurs devaient sentir eux-mêmes la faiblesse des aveux et l'inconsistance de l'acte terroriste imaginé par les deux jeunes filles. Ils leur adjoignirent donc un jeune homme, Paul, le jeune juif converti par Sœur Madeleine à Krasnodar, dont parle Neveu dans sa lettre du 30 septembre 1933, citée plus haut. Au procès il déclara "Komarovskaïa M.G. me disait que, seul de Krasnodar, j'étais élu pour une grande chose. Je devais me préparer pendant deux-trois mois sous la direction de mon curé, mon  père spirituel. Après cela, il me dira ce que je devrai faire. Elle me disait que je devais chaque jour être fidèle à l'examen de conscience, me préparer à la mort et cultiver en moi le sens du sacrifice et la disposition à mourir au nom d'une grande cause. Tout cela a fait de moi un fanatique, prêt à accomplir n'importe quel acte et faire ce pour quoi il m'avaient préparé."

L'enquête, on le voit, dramatise les actions par lesquelles Sœur Madeleine préparait Paul à recevoir le baptême. Cette préparation est comprise pour le besoin de la cause comme une détermination à commettre, à n'importe quel prix, un acte terroriste.  

Article suivant : "Les confessions "politiques de  Camilla Krouchelnitskaïa

  

               



10/09/2015
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