Neveu et les victimes du procès. Le sort du père Serge Soloviev.

Neveu et les victimes du procès.

Le sort du père Serge Soloviev

La conclusion de l'accusation étant du 1er août 1931 et la décision du tribunal du 18 août 1931, Neveu a été en mesure, dès le 27 août de connaître le sort des condamnés. Le 31 août il écrit à Mgr d'Herbigny;

Quelle semaine je viens de passer... Mardi matin, jour de saint Louis, tandis que j'étais au confessionnal, j'aperçois la silhouette décharnée de Mlle Malinovskaïa , arrêtée le 16 février dernier. L'instant d'après, la brave personne me déclara;
A 3 h du matin aujourd'hui, l'on m'a fait sortir de Boutyrki en compagnie du père Serge. A la sortie de la prison, alors qu'il n'y avait pas de tramway, il se trouva un jeune homme qui prit nos paquets, que nous étions incapables de porter  et qui nous conduisit prendre un fiacre. Le père Serge déraisonne totalement; on dirait un petit enfant. Il est en outre très malade et on l'envoie pour dix ans à Alma-Ata près de l'Afghanistan. Quant à moi, je dois aller à 2 h après-midi au Guépéou pour apprendre ma destination. Je suis très heureuse d'avoir pu au moins me confesser et vous dire adieu, mais hélas, je ne pourrai pas communier. Ce matin, en arrivant chez moi, j'étais si faible que les voisins m'ont fait boire du thé.  - Vous êtes malade: il peut se faire qu'on vous ordonne de partir ce soir ou cette nuit : communiez Mademoiselle : l'Eglise accorde des dispenses  aux infirmes et à ceux qui se trouvent dans des conditions aussi extraordinaires.  - " Que je suis heureuse " -

La messe dite, je priai  une personne liée avec les amis du père Serge de prévenir ceux-ci, afin de ne pas abandonner à lui-même le pauvre père. L'après-midi, cette même personne vint me dire que deux autres dames amies du Père se relayaient auprès de lui, que le père devait se mettre en route vendredi 28 , qu'on allait faire des démarches pour le faire entrer dans une maison de santé ou pour obtenir au moins un sursis à son départ. Depuis ce mardi, j'appris encore les détails suivants: le père déraisonne comme un petit enfant, il est maigre et fait peur, il a les yeux hagards, tremble au moindre bruit dans le corridor et dit :" Ils vont venir avec leurs baïonnettes pour m'arrêter". Il déclara qu'il ne voulait pas que l'on fît venir ses filles et qu'il ne voulait pas me voir. Comme ces paroles étonnaient la dame, qui savait combien le père m'aimait: "Oui, ils m'ont épouvanté tout le temps à propos de monseigneur : ils m'ont dit qu'ils l'avaient déjà fusillé et que mes filles étaient arrêtées. Non, non, je ne puis le voir. Tout au plus j'irai à Saint-Louis  de grand matin, je me confesserai  et communierai comme un simple fidèle.         

 

 La prison de Boutirky où le Bienheureux Léonide a été incarcéré
 
Il ne mange presque rien,  et il a l'estomac très fatigué. Il répète  continuellement trois choses: " Croyez-vous que j'ai pu trahir Dieu?  - J'aime Dieu et je le prie - non, non, je ne puis le voir - C'est égal, je mettrai fin à mes jours. " Il faut vous dire, cher Seigneur, que la mère du père Serge  s'empoisonna  le jour de la mort de son mari , que le père Serge a déjà été soigné dans une maison de santé à cause des chagrins  que sa femme lui causa, il y a donc l'hérédité et un mauvais précédent. La femme du père Serge est venue ici  quelques jours après l'arrestation de son mari.  et elle est repartie pour Balachov (gouvernement de Tambov)  d'où elle n'a plus donné de ses nouvelles... Créature... Malgré son état , le pauvre père eut la force de se lever une après-midi et de se rendre à la Croix rouge politique (Mme Pechkova) afin de demander un sursis : dans la rue, il fut rencontré par hasard par des catholiques, qui remarquèrent qu'au lieu de chaussettes, il avait les pieds entourés de chiffons. Ses amis firent toutes les démarches possibles auprès des médecins spéciaux de la Croix rouge, tout a été en vain.
Samedi 29, l'infâme juge d'instruction qui avait martyrisé le pauvre prêtre dans la prison, vint chez lui et cria :
Qu'est-ce que cette comédie que vous jouez? Vous faites de l'agitation, vous recevez des visites, je vais vous faire reconduire en prison et vous savez que votre compte sera vite fait. L'évêque est venu? Rappelez-vous que vous avez signé l'engagement de ne pas le voir sinon... Partez d'ici le plus vite possible - " Il m'est difficile de partir seul. - "On se propose d'accompagner le père" fit la personne qui était là- "Nous n'autorisons qu'une seule femme à faire le voyage c'est ... cette dame boiteuse de Sokolniki." Il s'agit d'une dame russe catholique infirme elle-même. J'avais tout fait pour que le père exprimât le désir de me voir, je lui avais même fait dire que depuis son arrestation j'avais peine à me confesser. Il répétait toujours qu'il ne voulait pas me voir : à mon cœur défendant, je respectai sa consigne de peur d'éviter peut-être une crise d'émotion trop vive.  

Le courrier (à Mgr d'Herbiny)  suivant du 14 septembre 1931 nous informe sur l'évolution de l'état de santé du père Serge et sur les décisions du Guépéou le concernant.

Le samedi 5 septembre, dans la soirée, un argousin du Guépéou vint lui intimer l'ordre de partir le jour-même pour Alma-Ata sous peine d'être réintégré à la Lioubianka. Mes informations en étaient là. J'avais donné l'argent pour deux billets (250 roubles, 125 pour le retour du guide) et j'étais persuadé que le père était déjà en route, lorsque je vous écrivais. C'est tout autre chose à présent. Ce samedi, il fut impossible, d'avoir des billets. Dans la matinée du dimanche, on en obtint deux et la personne qui les apportait  au domicile du Père Serge ne fut pas peu surprise de retrouver là le même sbire, qui mit qui mit le pauvre homme en état d'arrestation et l'emmena au Guépéou. Les personnes dévouées au père et qui avaient fait des démarches pour le faire entrer dans une maison de santé furent au désespoir et crièrent qu'elles  eussent mieux fait  de laisser les choses aller suivant leurs cours. L'une d'elles passa  toute la journée du dimanche sur la place de la Lioubianka, pleurant et se tordant les mains de désespoir, marchant de long en large et regardant si l'on ne ferait pas sortir le malheureux. Sur le soir, elle vit une automobile, où était assis le même argousin, le père Serge et la cousine de ce dernier.  

  La cousine raconta qu'au Guépéou le père avait été soumis à une expertise et reconnu malade, qu'il avait été emmené à la gare de Koursk


 

La gare de Koursk  

Une gare reliait dans les années 1860 Moscou à Koursk et Nijni Novgorod. Elle s'appelait la gare de Nijni Novgorod et se trouvait à une centaine de mètres de la gare actuelle.

Курский Вокзал2.jpg
 

La ligne, alors privée, est rachetée en 1894, et la gare actuelle construite entre 1894 et 1896. Elle est reconstruite dans les années 1930, puis en 1972, où la façade prend sa configuration d'aujourd'hui, avec un hall d'entrée de 15m de haut.


de là station, une autre automobile les avait conduits à environ dix km à une maison de santé du Guépéou (vous savez que beaucoup des collaborateurs deviennent fous ) et qu'en arrivant, le père, voyant qu'on lui donnait une chambre à part, s'était écrié : "Ici, je serai bien".

C'est donc là que se trouve le pauvre malade. La cousine et une autre personne ont été seules autorisées à lui faire visite et à lui apporter des vivres.  (tout est bien dans la maison de santé, sauf le ravitaillement.  A une première visite, le père se plaignit de n'avoir pas d'appétit ni sommeil. Néanmoins, sous les yeux de sa visiteuse, il mangea sans y faire attention, presque un kilo de biscuits. Le médecin assura que le père dort mieux, mais pas encore suffisamment. Voilà où en sont les choses le concernant. Dans ses conversations, tandis qu'il était chez lui, il a tout de même dit "J'ai trahi tout le monde". Est-ce vrai? Se l'imagine-t-il? Dieu sait la vérité: il est bien certain qu'on a employé contre cet infortuné tous les moyens de pression pour obtenir je ne sais quel aveux."

Le 21 novembre 1932, Neveu nous apprend que le père Serge a été rendu à la famille. "Il ne sort plus de sa chambre; il ne veut voir personne, il est très agité surtout la nuit." Une dernière mention de Neveu est du 1er juillet 1935 : "Ses deux filles ne le laissent approcher de personne et il est très difficile d'avoir de lui des nouvelles fréquentes et sûres."

Au lendemain de la guerre, le père Braun, curé de Saint-Louis apprit à Neveu la mort du père. Il est mort le 2 mars 1942 à Kazan. Là se trouvait l'hôpital psychiatrique de la prison du MVD (Ministère de l'intérieur). Qui nous dira ce que furent les dix dernières années du père Serge Soloviev ?

 

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07/08/2015
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