Le procès des catholiques latins.

Le procès des catholiques latins.

Extrait du livre d'Antoine Wenger "Catholiques en Russie d'après les archives du KGB 1920-1960 Editions DDB 1998 pages 54 et suivantes.

En même temps que l'on a arrêté, la nuit du 15 au 16 février 1931, des catholiques orientaux du groupe de Soloviev, on a perquisitionné chez les latins. Fut arrêté notamment le curé de SS Pierre et Paul, Karl Karlovitch Louponinovitch. Le curé de l'autre paroisse russe polonaise de l'Immaculée Conception, Mikhaïl Kristoforovitch Tsakoul, avait eu vent de la perquisition et avait quitté le presbytère cette nuit-là, mais il fut arrêté plus tard le 14 avril.

L'enquête du groupe fut menée par le célèbre président du tribunal militaire V.V. Ulrich, qui a présidé les grands procès de 1936, 1937, 1938 parce que, dans le cas des Polonais, l'accusation était d'espionnage au profit de la Pologne. En fait cet espionnage consistait dans les contacts de ces Polonais - encore que Tsakoul fut letton, né à Revel en 1885  - avaient eus avec la représentation polonaise en URSS. Le chargé d'affaires M.Patek, assistait régulièrement à la messe du dimanche à Saints Pierre et Paul et, à l'issue, allait saluer le curé à la sacristie.

L'un et l'autre prêtres furent accusés également d'avoir eu des rapports avec l'espion polonais Doudnitski, qui était venu à Moscou en 1927. Tsakoul fut accusé d'avoir formé des cercles illégaux de jeunes et d'étudiants de 1929 à 1923. Entre autres accusations qui lui furent faites, il reconnaît, bien qu'il fût depuis 1929 collaborateur secret du Guépéou, avoir caché son activité contre-révolutionnaire antérieure.

Le procureur Ulrich qui s'était réservé l'interrogatoire de l'abbé Tsakoul, le questionna sur ce qu'il savait du groupe Soloviev. Le père Soloviev, en effet, célébrait jusqu'à cette date dans l'église de l'Immaculée conception.          

 

 

Image illustrative de l'article Cathédrale de l'Immaculée-Conception de Moscou

La cathédrale de l'Immaculée Conception à Moscou

 

Tsakoul apprit à Ulrich  qu'il existait des groupes russes catholiques à Leningrad, Saratov et Kiev qui avaient chacun leur prêtre. Le financement de la communauté des russes catholiques est entièrement entre les mains de Neveu qui reçoit l'argent de la Commission Pontificale Pro Russia. Des ressources ont été également versées quand fonctionna (1921-1924) la Commission pontificale de secours à la famine en Russie.

L'activité contre-révolutionnaire et antisoviétique du groupe consiste principalement dans la diffusion de la prière "Russie souffrante" de la dévotion à Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et dans certains rites et prières pour le salut de la Russie, dont la zélatrice est une certaine Alexandrova. La conviction essentielle du groupe est que le salut et la renaissance de la Russie se réaliseront seulement par l'Eglise catholique, le secours aux prisonniers, le travail parmi la population orthodoxe, financé par la Mission polonaise et par Neveu.

Tsakoul chargea le groupe Soloviev et l'évêque Neveu. "Neveu m'a dit, s'agissant de Soloviev et de la communauté, qu'il les finançait comme l'élément le plus à même de soutenir la politique du Vatican. Il fit remarquer en particulier que, pour autant qu'on peut s'attendre à une intervention dirigée par la France, on trouvera parmi les catholiques de rite oriental des cadres qui, après le renversement des bolcheviks, aideront le nouveau pouvoir et soutiendront une orientation française."

Remarque de l'auteur.  Le texte est ainsi souligné dans l'interrogatoire manuscrit de Tsakoul. Nous donnons son nom parce que nous savons par Neveu qu'il a été interrogé sur le père Soloviev.

Loupinovitch, lui, s'est reconnu coupable d'avoir informé Neveu de sa collaboration avec l'Oguépéou; d'avoir également informé l'ambassade de Pologne des arrestations de prêtres d'origine polonaise et des dispositions des paroisses russo-polonaises; d'avoir porté secours et assistance aux prisonniers. Grief non moins grave, il a attiré des enfants à l'église et les a éduqués dans un esprit antisoviétique. Il a pris part active dans la formation de la chorale de son église, dans un même esprit. Dans ses prédications, il s'est il s'est efforcé d'inspirer à ses paroissiens des sentiments antisoviétiques. Enfin, il a favorisé l'inimitié nationale entre Polonais et Lituaniens.

En conséquence de quoi :

1. Tsakoul Mikhaïl Kristoforovitch , 41 ans, letton, sans parti, célibataire, citoyen de l'URSS, trois fois arrêté, curé de l'église au quartier des Géorgiens (l'Immaculée Conception) arrêté le 14 avril 1931, qui se trouve dans l'isolateur intérieur de la Lioubianka.

2. Loupinovitch Karl Karlovitch, 40 ans, polonais, sans parti, célibataire, citoyen de l'URSS, deux fois arrêté pour soupçon d'espionnage curé de l'église de la rue Marhklevski (église Saints Pierre et Paul, dans la rue aujourd'hui redevenue Milioutinski, arrêté le 18 février 1931, gardé dans l'isolateur de la Lioubianka,

sont soumis à la décision de la Conférence spéciale (l'OSSO).

Celle-ci condamna l'abbé Loupinovitch à trois ans d'exil au Kazakhstan. L'abbé Tsakoul, qui était un collaborateur forcé du NKVD, fut envoyé pour trois ans à Tambov, mais dès 1933 il fut autorisé à revenir à Moscou et à reprendre son poste. Il sera arrêté à nouveau le 3 mai 1937 pour avoir célébré, lui qui était letton, une messe à l'occasion de la fête nationale polonaise. Il ne restera alors plus à Moscou que l'église Saint-Louis-des-Français.

     

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église saint Louis-des-Français à l'époque.

Comme Mgr Pie Neveu avait dû quitter Moscou le 31 juillet 1936, le service religieux était assuré par le père Léopold Braun, arrivé à Moscou le 1er mars 1934, pour le service  des catholiques américains en vertu des accords Roosevelt-Litvinov. Il pouvait certes s'appuyer sur le dévouement des dames Ott, mère et fille, Mais il avait aussi pour conseiller celui qu'on appelait le professeur Vassili Appolosovitch Baskarev.

En même temps que Loupinovitch et Tsakoul, fut arrêté un couple de catholiques, Srevalis et sa femme, Anna Tyschman. Srevalis passait, aux yeux du Guépéou pour être la figure la plus représentative des deux paroisses catholiques russo-polonaise. Ami proche des évêques Ropp et Cieplak, il connaissait tout le clergé de Moscou. Srevalis, selon l'accusation, a établi des liaisons avec la représentation diplomatique de Pologne et, en 1927, il eut de fréquents contacts avec Boudmitski, qu'il savait être un espion. Il nia personnellement toute activité d'espionnage, mais fut suffisamment convaincu par les révélations de Tsakoul et de Loupinovitch. Arrêté le 25 février 1931, âgé de 66 ans, il est mort durant l'enquête, à l'isolateur de Boutyrki, le 31 août 1931.

Le grief d'Anna Tyschman, son épouse, tertiaire de Saint François, est d'avoir été, pendant de longues années, gouvernante de nombreux curés polonais. Originaire de Dvinsk, elle a connu l'espion polonais Jan Bielopetrovski et fut en relation avec lui, quand il travaillait au consulat polonais. Elle fut condamnée, comme le curé Loupinovitch, à trois ans de déportation.

D'autres catholiques furent arrêtés et envoyés au Turkestan, sans autre forme de procès. "Un grand nombre de personnes (il y a en a bien cinquante), qui avaient affaire de plus près  avec le curé Loupinovitch, sont condamnées à la relégation et partent aujourd'hui, demain et après-demain. Dans le nombre, la vieille domestique de l'abbé, la veuve Lapinska, âgée de plus de 70 ans, Agatha, ancienne domestique du doyen Zelinski, laquelle doit aller passer trois ans à Alma-Ata. Cette Agatha a été reconnue coupable d'avoir envoyé trop de paquets aux prêtres détenus et on lui a même dit : "Vous vous frottez constamment aux prêtres." Le doyen Zelinski est transféré à Kotlas, le pauvre homme. Reléguée aussi une vieille fille, Catherine Narboutovitch, organisatrice des processions et chez nous aide balayeuse de Saint Louis. Ajoutez une dame Radkievitch accusée d'avoir été plusieurs fois au consulat de Pologne, la mère et la fille Petkevitch envoyées à Penza pour s'être occupées du chant d'église, une autre vieille, la veuve Lomska, qui va à Tambov ; celle-là avait un caractère insupportable, dit-on, et ne vivait qu'avec ses chats. De quel crime a-t-elle pu se rendre coupable? Toutes les autres, dont les noms ne nous sont pas connus, demandent à se fixer à Koursk, Voronège où dans des villes où le prêtre réside ou vient parfois accomplir le saint ministère."

Cette lettre de Neveu du 14 septembre 1931 est un véritable martyrologe, car la fin de toutes ces personnes, condamnées pour leurs liens avec l'Eglise, sera la mort misérable dans leur exil ou de nouvelles arrestations. De l'abbé Tsakoul, auquel Neveu reprochait injustement, de ne pas voir régulièrement son évêque, et que nous-même chargeons ici pour la vérité de l'histoire, dont l'heure est arrivée, nous voulons dire qu'après sa dernière arrestation du 3 mai 1937, il fut alors condamné au châtiment suprême et fusillé. Son confrère Karol Karlovitch Loupinovitch, condamné le 18 novembre à trois ans d'exil au Kazakhstan, d'après des renseignements de l'ambassade de Pologne en URSS, est mort en 1937 près d'Alma-Ata. D'après Neveu il s'était fixé à Semipalatinsk.                                 



27/08/2015
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