Les Dominicaines à Moscou en 1917
La communauté russe catholique de Moscou était légèrement plus nombreuse que celle de Pétrograd; elle gravitait entièrement autour des époux Abrikosoff et de leur vaste appartement situé au 4e étage d'un immeuble du Boulevard Pretchinsky. On s'en souvient, le P.Léonide leur avait rendu une première visite en 1914, lors de son voyage rapide en Russie. Les époux Abrikosoff étaient cousins. Originaires d'une famille de riches commerçants moscovites, ils avaient fait des études supérieures à Cambridge. Après une crise d'agnosticisme, ils étaient entrés dans l'Eglise catholique à Paris, en l'église de la Madeleine, Anna Ivanovna en 1908, son mari, Vladimir Vladimirovitch, l'année suivante. Ils rentrèrent à Moscou en 1910 ert leur appartement devint peu à peu un centre d'études et d'action catholique dans l'ancienne capitale russe. Chaque matin, les époux Abtrkosoff assistaient au sacrifice eucharistique et y communiaient; ils approfondissaient ensemble leurs connaissances religieuses et organisaient périodiquement dans leurs salons soit des conférences sur des sujets dogmatiques ou ascétiques, soit des soirées philosophico-religieuses où l'intellegentsia moscovite venait échanger ses vues.
Pendant l'été de 1913, ils se rendirent à Rome et furent reçus en audience privée par Pie X. Le saint pape s'intéressa à leurs travaux, les encouragea à poursuivre leurs efforts et leur remit en souvenir sa photo.
Le 21 novembre de la même année, avant de quitter Rome, tous deux devinrent membres du tiers-ordre dominicain. Rentré à Moscou, ils éliminèrent tout luxe de leur train de vie et ne conservèrent qu'une seule servante. Mme Abrikosoff se mit alors à grouper autour d'elle une élite de jeunes filles; des élèves du Conservatoire de musique, des étudiantes et de jeunes professeurs. Elle leur enseignait la doctrine catholique, les principes de la vie spirituelle et s'efforçait de leur inspirer l'idéal dominicain. Son succès fut remarquable. Un certain nombre de ces jeunes filles conçurent le désir de devenir à leur tour tertiaires dominicaines. Mme Abrikosoff les y prépara; elles furent reçues dans l'Ordre par le P.Albert Libercier, un dominicain français qui se trouvait alors à Moscou.
Ainsi passèrent les années de guerre. Après que, en 1917, le P.Vladimir Abrikosoff eut été ordonné prêtre à Pétrograd, par le Métropolite André, le Maître général de l'Ordre des Frères Prêcheurs, le P. Louis Thessling lui délégua la faculté de recevoir les membres du tiers-ordre, une chambre de l'appartement fut transformée en chapelle de rite byzantin; elle devint le centre de la vie liturgique pour la paroisse en formation.
Le passage de ces jeunes filles au catholicisme rencontrait souvent une opposition violente de la part des familles. Plusieurs d'entre elles furent obligées de quitter le foyer paternel. Mme Abrikosoff leur offrit l'hospitalité et sa demeure prit l'aspect d'un petit monastère; les jeunes filles continuaient leurs travaux ou leurs études au dehors, mais accomplissaient ensemble leurs exercices de piété et suivaient les pratiques de la vie religieuse lorsqu'elles se retrouvaient le soir dans leur appartement commuin.
Le 19 février 1921, le Maître général des Dominicains transforma une situation de fait en situation de droit; il éleva la communauté au rang de religieuses de second ordren c.à.d en dominicaines proprement dites. En 1923, le nombre de ces dominicaines dépassa légèrement la vingtaines; c'était le maximum que pouvait héberger l'appartement. Mme Abrikosoff, devenue en religion Mère Catherine de Sienne, fut nommée prieure; le P.Vladimir remplit les fonctions d'aumônier.
Lorsque les Soviets interdirent l'enseignement de la religion aux jeunes de moins de 18 ans, les Soeurs dominicaines organisèrent des cours clandestins de catéchisme pour les petits catholiques; elles hébergèrent aussi trois orphelins et se préparaient à en recevoir un plus grand nombre lorsque la police vint les arrêter.