Les icônes de la Mère de Dieu
²Les icônes de la Mère de Dieu
Hodiguitria
Dans l'iconographie de la Mère de Dieu, l'image de l'Hodiguitria occupe une place privilégiée. Cette représentation de Marie est commune à l'Orient et à l'Occident et au Haut Moyen Age européen, elle a récapitulé toutes les représentations artistiques qui unissent ces deux parties du monde chrétien. De plus, elle a été et demeure avec une permanence constante l'image préférée du monde occidental, même si son aspect et son expression en sont modifiés dans les détails en empruntant quelques traits caractéristiques aux pays dans lesquels elle est vénérée. Sin origine est cependant spécifiquement orientale.
Les origines
L'Hodiguitria apparaît à Constantinople à l'époque de Justinien, au seuil de l'art byzantin. Dès le début, elle manifeste les traits caractéristiques d'un style grec ayant atteint la perfection. Mais il est certain aussi que le type original de l'Hodiguitria provient de l'Orient, probablement de la Syrie.
Selon le témoignage des historiens byzantins, c'est l'impératrice Eudoxie, la femme de Théodose II (408-456), qui de Jérusalem, aurait envoyé à Constantinople, l'icône à sa belle-mère Pulchérie (+ 453)
La tradition affirme en outre,, que l'icône fut peinte par l'évangéliste saint Luc et qu'elle reçut la bénédiction de la Mère de Dieu elle-même qui aurait dit : "Ma grâce sera avec cette icône". Selon d'autres sources encore, l'icône aurait été aurait été envoyée à Théophile d'Antioche et ensuite transportée à Constantinople, où elle fut gardée dans l'église des Blachernes. Malheureusement, les diverses traditions se contredisent, et ce, depuis le début. Elles se réfèrent, certes, à des événements précis, mais sans se soucier de l'ordre chronologique de ceux-ci. Il est donc permis de douter de la valeur historique de ces traditions, mais force est de reconnaître qu'un élément leur est commun: toutes situent l'origine de cette icône en Orient, et de ce fait, confirment l'importance des pèlerinages en Terre Sainte pour l'iconographie byzantine.
Saint Luc, peintre de l'Hodiguitria ?
Les témoignages désignant Saint Luc comme l'auteur de l'icône, soulèvent une autre question : s'il était le médecin mentionné dans la Lettre aux Colossiens et le disciple de Saint Paul, on peut affirmer que lorsqu'il rencontra la Mère de Jésus, cette dernière devait être une femme déjà âgée, comment pouvait-il alors la représenter portant l'enfant sur ces bras ? En tout cas, l'iconographie grecque des premiers siècles ne connaît qu'une seule icône de Marie et c'est celle attribuée à Saint Luc. Le fait que de nombreuses icônes d'Orient et d'Occident se réclament de Saint Luc peut être expliqué par la confusion habituelle entre l'original et sa copie; de plus, la coupure, la coupure survenue dans la tradition après la chute de Byzance ne permet pas de suivre clairement les filiations des diverses icônes.
La théorie suivant laquelle saint Luc était l'auteur de l'Hodiguitria, se heurte à une difficulté. Le caractère typique des premières images laisse supposer que leur pays d'origine fut l'Egypte. Or, un évêque de la Thébaïde, lui aussi appelé Luc, avait peint une icône de la Théotokos. On ne peut pas exclure de façon absolue une confusion entre l'évangéliste et l'évêque, portant tous les deux le même nom, même s'il est difficile d'affirmer que cette erreur soit le point de départ de la traditions. (2)
La première source littéraire de cette tradition semble une remarque de Théodore le Lecteur ( vers 530) dans son "Histoire" (3) dans laquelle il écrit que l'icône de saint Luc avait été envoyée à Jérusalem par Eudoxie.
Le deuxième témoignage se trouve chez André de Crète (+ 767) . Ici, rien ne confirme que l'icône fût à Constantinople, mais il est dit que plusieurs icônes de saint Luc étaient vénérées à Rome dont une appelée "La Romaine".
Le troisième témoignage émane du patriarche Germain qui, dans une lettre adressées à l'empereur Constantin Copronyme, s'appuie sur cette tradition pour défendre les saintes images. Ici, non plus rien ne dit que l'Hodiguitria se trouva à Constantinople. Il est possible que l'ancien original oriental ait disparu pendant l'iconoclasme et qu'il ait été remplacé par une icône nouvelle , de style byzantin.
A ces témoignages s'ajoutent encore les lettres des trois patriarches d'Orient à Théophile (836) de la période iconoclaste, qui font elles aussi mention de l'icône de saint Luc pour justifier le culte des images. Il est possible que l'autorité de ces documents ait contribué à confirmer l'attribution à Luc de l'Hodiguitria, ce qui fut communément accepté au 9e siècle.
Ces témoignages sont les seuls témoignages directs. A eux se réfèrent les témoignages postérieurs que l'on rencontre à partir du Xe siècle. (1) quand on pense que le texte de Théodore le Lecteur est un e interpolation : il daterait d'une époque postérieure lorsque la tradition de l'icône de saint Luc était déjà
bien ancrée, et que la capitale ne pouvait guère être privée d'un tel sanctuaire. En effet, déjà à l'époque des Macédoniens, les historiens pratiquaient couramment des compilations et interpolations à la gloire de l'Empire et des princes.
L'Hodiguitria - protectrice de Constantinople.
Les nombreuses relations qui lient l'Hodiguitria aux pays orthodoxes de l'Orient et à beaucoup de pays de l'Occident, soulèvent de grandes difficultés pour fixer l'historique de ses origines.
Le seul témoignage précis concerne la construction de l'église de l'Hodiguitria par l'impératrice Pulchérie, au milieu du 5e siècle. L'attribution de l'Hodiguitria à saint Luc peut-être une tradition qui remonte aux siècles précédents, mais peut également être fondée sur des faits historiques Précis. On connaît l'importance du rôle que tenaient les impératrices de l'Empire avec la Palestine. Il est donc tout à fait possible que la première icône de l'Hodiguitria ait été apportée de Palestine ou d'Egypte. Pourtant, malgré la grande fidélité des anciennes icônes à leur original, aucune des nombreuses copies (à Rome, en Grèce, au Mont Athos et en Russie) ne montre la moindre trace d'un original du Ve siècle. L'existence de l'Hodiguitria à Constantinople est confirmée beaucoup plus tard, et les chroniqueurs parlent du célèbre monastère et sanctuaire de l'Hodiguitria construit par Michel III par Michel III (842- 867) . Il s'appelait "Eglise des Guides" car les chefs d'armées, avant leur départ en campagne, venaient prier devant l'icône qui portait le nom de ce sanctuaire :"Hodiguos" et, plus tard, "Hodiguitria". La légende qui explique le nom par un miracle de la Vierge, est d'une époque plus tardive. La voici, à Constantinople, la Mère de Dieu aurait apparu à deux aveugles. Les prenant par la main, elle les aurait conduits au sanctuaire de l'Hodiguitria où elle leur aurait rendu la vue. Depuis ce temps, les aveugles et ceux qui souffraient de maladies des yeux, venaient à la source près de l'église et s'y lavaient les yeux
afin de trouver la guérison. Cette légende a fait de cette image de l'Hodiguitria une source de grâce pour ceux qui cherchent Dieu. Plus elle nous fait comprendre Marie comme celle qui montre le chemin vers Dieu; elle est littéralement : Hodiguitria, c'est-à-dire : "Celle qui montre le chemin".
Pendant la crise iconoclaste, l'icône de l'Hodiguitria échappa à la destruction. Elle fut cachée dans un mur du couvent du Pantocrator. Devant l'endroit où elle se trouvait. ainsi emmurée, une lampe brûlait ; ce signe de vénération dura pendant toute la durée de la persécution (1)
Saint Jean Damascène, le défenseur des saintes images, dit dans une de ses hymnes : "Qu'elles deviennent muettes, les lèvres des impies quine vénèrent pas votre icône, l'Hodiguitria peinte par l'apôtre saint Luc !"
Pendant les événements de 1204, l'Hodiguitria continue à partager le sort de la ville. Au début de la bataille contre les croisés, l'empereur Alexis Doukas l'avait fait placer à la tête des armées. Ainsi, elle tomba après la défaite aux mains des croisés. On ne sait pas quel fut son sort pendant le sac de Constantinople. Les affirmations d'historiens occidentaux de l'époque, suivant lesquelles Balduin l'aurait prise pour l'envoyer en Occident, ou encore que le Doge l'aurait fait porter à Venise sont douteuses. Il est possible qu'il s'agissait là de copies ou d'autres icônes de la capitale. En tout cas, l'Hodiguitria fait sa réapparition en 1261 ; après la délivrance de la ville du joug des croisés, l'empereur Michel Paléologue fit arrêter le cortège triomphal devant la Porte d'or jusqu'à ce que l'on eût apporté l'Hodiguitria. Puis, il suivit l'image vénérée à pied et sans aucun de ses ornements impériaux.
Le culte de l'Hodiguitria.
C'est sous le règne des Paléologues que la vénération de l'Hodiguitria atteignit son apogée. Le livres des cérémonies de Constantin Porphyrogénète (944-959) nous en donne une image vivante : chaque mardi, l'Hodiguitria recevait des honneurs particuliers, et à l'ouverture du mois de Marie, c'est-à-dire le mois d'août avec la fête de l'Assomption, l'empereur en personne présidait les solennités. Parmi les nombreux pèlerins qui assistaient à ces cérémonies se trouvait, vers 1350 Etienne de Novgorod : il a fournit une description de la procession avec l'icône. Cette icône, selon le témoignage d'un voyageur espagnol Pierre Tafur était peinte sur pierre avec son cadre et les supports, elle pesait plusieurs quintaux. Ainsi, ce que décrit Etienne de Novgorod en détail, devient aux yeux de la foule un miracle:
" Cette image es très grande , richement ornée, et les chantres chantent admirablement devant elle .. On met le cadre sur les épaules d'un seul homme et il étend les bras comme s'il était crucifié......... Devant l'image, deux diacres tiennent des éventails sacramentels et les autres l'arche Vue surprend avec facilité par la grâce de Dieu !" (2)
Ces témoignages montrent le rôle que jouait l'Hodiguitria dans la vie religieuse de Constantinople. Sous les Paléologues, elle était devenue le palladium de l'empire. Mais cette image, portée en procession solennelle, n'était plus l'ancien original oriental, mais une copie tardive, peinte dans le style byzantin de l'époque.
La disparition de l'Hodiguitria
Les sources historiques de l'époque postérieure au rétablissement de l'empire grec à Constantinople (après les Croisades) demeurent encore plus obscures. Nous nous trouvons alors devant une tradition qui cherche à expliquer les événements et à confirmer la disparition et la réapparition de l'Hodiguitria. Et quand l'empire succombe à l'assaut des Turcs, la tristesse de l'historien ne trouve d'autre explication que de croire que l'icône et les autres reliques précieuses avaient été enlevées au ciel.
On peut cependant supposer qu'elle a de nouveau partagé le sort de sa ville.
Pendant les derniers siècles de Byzance, elle était conservée dans le monastère de Chora. Là, elle tomba probablement aux mains des Turcs. L'historien Doukas (XVe siècle) raconte que les Janissaires pénétrèrent dans le monastère et que l'un d'eux s'empara de l'icône. Avec son épée, il la trancha en quatre parties qu'il distribua à ses compagnons. Ils en arrachèrent l'or et les pierres précieuses et les traînèrent avec leurs chevaux dans les rues, les foulant et les souillant d'ordures. (1)
Pendant les siècles suivants subsistait la légende qui voulait que l'Hodiguitria fut sauvée et conservée au Phanar, siège du Patriarche orthodoxe grec depuis l'occupation turque. Depuis ce temps, les légendes des icônes de Saint Luc se multiplièrent, surtout en Russie. Ces croyances ne peuvent être expliquées autrement que par le lien qui les unit au prototype lointain, mais leur grand nombre prouve que cette icône était une des plus vénérées dans les pays orthodoxes.
Les anciennes icônes de l'Hodiguitria
Quel était l'aspect de l'Hodiguitria primitive ? En examinant les médailles des différents siècles, on remarque que les icônes représentaient la Vierge dans des positions différentes, debout, assise ou en buste. La dernière forme semble se généraliser. Toutes les représentations ont en commun les détails qui caractérisent ce type d'image de la Mère de Dieu : la Vierge tient l'Enfant sur l'un de ses bras, soit le gauche, l'Enfant tient dans sa main gauche un parchemin. De sa main droite, il fait le geste de bénédiction. La Vierge tend la main libre vers l'Enfant dans un geste qui montrer et qui reçoit.
On peut supposer que ce type cherche ses origines dans l'ancienne représentation de l'adoration des mages et que la Vierge assise serait la forme la plus ancienne. En effet, dans l'ancienne Egypte déjà, on peut constater ce processus d'abstraction, c'est-à-dire l'évolution d'un thème iconographique à partir d'une forme concrète et aboutissant à un personnage isolé.
La Vierge au Sinaï
Cette évolution semble se confirmer lorsqu'on examine une icône du musée de Kiev, icône qui fut recueillie par l'évêque Porphyre Ouspenski pendant une expédition au Mont Sinaï (1)
Cette icône du Ve siècle, exécutée sur une planche de cyprès, montre une conception très réaliste et semble fournir une image à mi-chemin entre l'histoire et le culte. La Vierge, au visage plein et aux grands yeux, dirige son regard vers la gauche, serrant contre elle l'Enfant qui lui-aussi se penche vers la gauche, tandis que sa tête, comme la tête de la Mère, reste légèrement tournée vers la droite,. La Vierge tend la main libre vers l'Enfant, comme pour le montrer. Le naturel des attitudes et la fraîcheur qui se dégagent de cette icône, justifient l'opinion qui veut qu'elle ait été copiée d'une scène de l'adoration des Mages. L'inclinaison de la tête et le regard de l'Enfant ainsi que la direction dans laquelle est tournée la tête de la Mère indiquent que les mages s'approchaient de la gauche. Les yeux de la Mère regardent vers les mages, mais expriment également le trouble et l'étonnement devant une telle vénération, mélangés à une certaine crainte pour la vie précieuse de son Enfant. Malgré la fraîcheur du visage et le geste naturel de Marie - elle apparaît ici comme le portrait antique d'une femme d'Orient - cette image indique qu'il s'agit là de la Mère qui dépasse par sa dignité ses pareilles : derrière sa tête apparaît une auréole, et sur son front elle porte une croix en or. D'ailleurs porter la croix sur le front était une coutume répandue parmi les chrétiens de l'époque, surtout en Syrie et à Alexandrie où elle remplaçait le signe des prières des Juifs.
Cette icône égyptienne, plus réaliste que hiératique est comme un trait d'union entre le tableau d'histoire et l'icône de la piété. Elle représente déjà le dessin que prendra plus tard sa forme définitive : l'Hodiguitria en demi-figure, tenant l'Enfant sur le bras droit ou gauche, la main libre tendue vers lui pour le désigner comme Fils de Dieu.
L'Hodiguitria des frappes sigillaires.
Pourtant cette Vierge en buste ne semble pas être la forme la plus ancienne de l'Hodiguitria. C'est plutôt la forme en pied que présentent les plus anciennes frappes sigillaires et monétaires. L'icône de Sainte Marie Majeure et les fresques de Sainte-Marie- Antique à Rome la montrent dans cette pose. (1)
Pour trouver un lien entre l'Hodiguitria byzantine et son original oriental, il faut se référer aux plus anciens sceaux, à ceux datant d'avant la période iconoclaste. Or, sur ces sceaux du Ve au VIIIe siècles, apparaît un type différent de l'Hodiguitria byzantine : la Vierge est représentée en pied. Elle porte sur son bras gauche l'Enfant à moitié couché. L'Enfant lui-même est aussi différent de celui de l'icône byzantine : ce n'est plus un nourrisson, mais, déjà un petit garçon dont la Mère tient les pieds dans sa main droite. Les inscriptions indiquent qu'il s'agit bien de l'Hodiguitria. Si l'on tient compte du fait que l'art byzantin de cette époque, en raison de son caractère hiératique, ne pouvait pas représenter un petit enfant couché dans les bras de sa mère, on peut conclure que la forme représentée sur les sceaux est le prototype oriental, même s'il avait subi des transformations dès l'apparition des premières copies. Par ailleurs, l'hypothèse, selon laquelle il s'agit là de l'Hodiguitria, semble être confirmée par deux monuments romains de première importance.
La fresque de l'Hodiguitria à Sainte-Marie-Antique.
Le premier est une fresque sur un pilier de Sainte-Marie-Antique qui montre une Hodiguitria en figure. Malgré son mauvais état - une moitié seulement est conservée - on peut distinguer l'Enfant assis sur le bras gauche de la Mère. La représentation surprend par quelques détails qui montrent une certaine liberté de style. Ainsi, la Mère enlace l'Enfant, tenant de sa main droite sa main gauche. L'Enfant pose sa main gauche sur le genou et ne porte pas le parchemin comme sur les icônes byzantines. Le nimbe ne montre pas la croix habituelle, le vêtement de la Mère est peint avec des traits et lumières libres.
Ces détails originaux permettent d'affirmer que la fresque devait être exécutée avant le IXe siècle, car elle ne suit pas le schéma traditionnel de Byzance.
Salus Populi Romani.
L'origine de la célèbre icône de l'église Sainte-Marie-Majeure a une importance primordiale pour toute l'iconographie. En effet, si elle remonte au VIe siècle, elle a dû influencer les icônes de cette époque.
La croyance pieuse des fidèles à Rome l'attribuait à Saint Luc. Le premier témoignage se trouve dans le Liber pontificalis de Grégoire le Grand ( 604). Il y est dit que le pape faisait porter en procession une icône de la Mère de Dieu à travers la ville jusqu'à la basilique Saint Pierre (1)
Mais rien ne permet de confirmer qu'il s'agissait de l'icône de Sainte-Marie-Majeure, car les textes de l'époque ne parlent que de l'église. La première mention faite par André de Crète (767) ne précise pas non plus dans quelle église se trouvait l'icône de saint Luc.
En présence de ces rares témoignages on peut supposer qu'entre le VIe et le IXe siècle fut vénérée à Rome une icône miraculeuse dont les origines et la renommée furent transférées plus tard à l'icône existante. Par contre, on peut affirmer qu'elle est effectivement la seule icône ancienne de Rome, toutes les autres (celle d'Aracoeli et celle de S Sixte) s'étant révélée être plus tardives (XVe et XVI e siècle)
Sur l'icône de Sainte-Marie Majeure, la Vierge apparaît en face, l'épaule gauche légèrement en retrait. Le mouvement des plis de son manteau montre qu'elle est représentée en pose debout. La couleur de son manteau est brun-rouge, ce qui peut donner une indication sur son origine : en effet, sur les icônes des VIIe et VIIIe siècles, la couleur du manteau de la Vierge est noir, sur les mosaïques de Salonique par contre, bleu. L'icône de Sainte Marie-Majeure doit donc être postérieure, probablement du IXe siècle. Les plis souples de son vêtement rehaussé de traits d'or sont encore proches de l'antiquité, mais restaurée au XVe siècle. Si Kondakov considère cette icône comme une des meilleures peintures grecques du IXe siècle, il faut cependant noter quelques détails qui sont typiques pour la peinture occidentale de cette époque. Ce sont la pose de la Mère qui enlace et serre l'enfant de ses deux bras, soutenant de sa main droite la main gauche comme sur la fresque de Sainte-Marie-Antique, l'Enfant qui tient dans sa main gauche le livre de l'Evangile et non le parchemin de l'icône byzantine. Il manque également dans son auréole la croix ainsi que l'inscription. Ce qui frappe le plus, c'est le long nez ovale, les yeux bien fendus, la large racine du nez. C'est un visage qui n'a son pareil ni dans l'art occidental, ni dans les peintures byzantines et que Kondakov compare au type de l'Athéna Minerve. (2)
L'influence de cette icône sur l'art chrétien fut immense. Elle servit de modèles à plusieurs icônes italiennes, et ce jusqu'au XVe siècle, et elle fut interprétée encore plus tard, par les artistes de la Renaissance. Elle est la plus ancienne image de la Vierge connue en Chine, où elle fut peinte par T'ang Yin (1470- 1523) dans la ville de Suchou (1)
En Ethiopie existaient des milliers de copies exactes de l'icône de Rome qui devint l'icône canonique de ce pays.
On la trouve également en Russie. D'après Kondakov, une représentation de ce type aurait été découverte sur les murs de l'église de la Transfiguration à Novgorod, peinte par Théophane le Grec à la fin du XIVe siècle. Depuis, elle a dû disparaître, car les publications modernes sur cette église n'en parlent pas. Dans l'église de l'Exaltation de la Croix à Loukine, près de Serpoukhov fut également vénérée jusqu'à la révolution une icône qui porte le nom de "Mère de Dieu de Rome". C'est une icône du XVIe siècle, apparemment de facture occidentale, car les têtes des personnages portent une couronne et l'Enfant porte un sceptre dans sa main gauche. La composition de cette icône est pourtant proche de l'icône de Sainte-Marie-Majeure.
Bien qu'au Moyen-Age, l'icône de Sainte-Marie-Majeure n'ait pu être copiée sans permission spéciale, elle était très répandue en Occident pendant la contre-réforme. C'étaient surtout les Jésuites qui ornaient leurs églises de cette image de dévotion et qui propageaient sa vénération, la faisaient reproduire en gravures et petites images de dévotion pour les "congrégations mariales", Rome la considérait comme son palladium et lui donna le titre de "Salus Populi Romani" Entourée de splendeurs, le pape Paul V fit construire, en 1611, une éblouissante chapelle pour elle à Sainte-Marie-Majeure. Et à notre époque en 1950, le pape Pie XII lui rendit hommage en proclamant devant elle le dogma de l'Assomption.
La Mère de Dieu de Lydda
Une tradition remontant au temps de l'Iconoclasme, toute imprégnée de merveilleux, raconte l'histoire de l'icône de Lydda (2) dont celle de Sainte-Marie-Majeure serait la copie. L'origine de cette icône
se situe au temps des Apôtres. Quand Pierre et Jean avaient convertis une grande foule à Lydda, l'ancienne Diospolis, ils y érigèrent une église consacrée à la Mère de Dieu. Ils demandèrent à Marie de visiter cette église afin de la bénir par sa présence. Mais la Mère de Dieu répondit : " Allez dans la joie, car j'y serai avec vous !" Et quand les Apôtres arrivèrent à l'église de Lydda, ils trouvèrent sur l'une des colonnes une image de la Mère de Dieu, miraculeusement faite "sans main d'homme." Plus tard, la Vierge en personne visite cette église. Elle bénit l'image et lui conféra la grâce d'accomplir des miracles. Au IVe siècle, l'image fut menacée par Julien l'Apostat. Il envoya des tailleurs de pierre avec l'ordre de l'enlever. Mais elle résista aux ciseaux à la grande joie des fidèles. Ce fait miraculeux fit affluer des foules de tout l'Orient.
A la veille de l'iconoclasme, Saint Germain, un moine de Palestine, désirait lui aussi voir cette image miraculeuse avant de se rendre à Constantinople, là où il fut par la suite, élu Patriarche. Pour avoir la Vierge de Lydda toujours près de lui, il demanda à un artiste de lui en faire une copie qu'il porta à Constantinople. Mais en 725, l'empereur Léon l'Isaurien déclencha la destruction des icônes. Le Patriarche Saint Germain, fervent défenseur des saintes images, fut chassé du trône et dût quitter la capitale. Avant de s'embarquer, il écrivit une lettre au pape Saint Grégoire le Grand, fixa cette lettre sur l'icône qu'il confia aux flots de la mer. L'icône naviguait debout jusqu'à Rome où elle arriva en une seule journée. Saint Grégoire, averti par un songe, la reçut avec le clergé au bord du Tibre. Quand le pape eut terminé sa prière, l'icône s'éleva toute seule, et vînt se placer entre ses mains. Elle fut portée en procession jusqu'à saint Pierre et y fut exposée à la vénération des fidèles. Quand saint Germain se rendit compte que la persécution devait durer encore longtemps, il expédia une autre icône de la Mère de Dieu de la même façon. Elle aussi fut reçue par le Pape à Rome. Les deux icônes restèrent à Rome pendant plus d'un siècle. A la fin de l'iconoclasme, intervint un autre événement miraculeux; pendant l'office célébré par le pape Serge II (844-847), l'icône commença à bouger. Le peuple, effrayé par ce phénomène chanta ; "Kyrie eleison" et l'icône s'immobilisa. Puis, elle s'éleva et s'en alla par les portes de l'église, jusqu'au Tibre, suivie par le pape et le peuple. Ensuite, de la même façon qu'elle était arrivée un siècle auparavant, elle s'éloignit par la mer, et arriva le lendemain à Constantinople où elle fut reçue par le Patriarche Méthode le Confesseur. Quand la lettre d'envoi fut reçue de Rome, on se rendit compte, avec étonnement, que l'icône avait parcouru le trajet en une seule journée. Elle fut solennellement transférée dans l'église de Chalkopratia où elle fut vénérée sous le nom de "la Romaine". (1)
Malgré le merveilleux qui transfigure l'histoire de cette légende, on y découvre des éléments intéressants pour l'iconographie de la Vierge. Parmi les icônes miraculeuses de Rome, une seule date de l'époque du Patriarche Saint-Germain : celle de Sainte-Marie-Majeure. Or, à cette icône est sans doute une copie de l'Hodiguitria. Par ailleurs, il est possible que le type de "la Romaine", comme aussi celui de l'icône de Lydda, n'existait pas à Byzance, et que toute la légende ait été écrite dans le but d'expliquer la façon dont l'Hodiguitria avait été gardée saine et sauve pendant la longue période de l'iconoclasme. Il est possible également que le livre dans la main de l'Enfant ait été peint plus tard, car il correspondait mieux à l'iconographie latine. Quoi qu'il en soit, la légende montre bien le rôle qu'a joué Rome pendant l'iconoclasme. Des milliers de moines iconodules trouvèrent refuge à Rome. Pour eux les papes étaient les défenseurs les fermes des saintes images.
L'Hodiguitra de Torcello.
La mosaïque de la conque de Torcello (près de Venise) est un des monuments les plus célèbres du type de l'Hodiguitria. Bien que cette oeuvre ait subi de nombreuses restaurations au cours des siècles, elle a gardé intacte les formes et le dessin de son origine du XIIe siècle.
Sur un fond d'or s'élève majestueusement la figure de la Mère de Dieu, debout sur un piédestal richement orné. Elle est représentée toute seule dans cet espace, car la beauté intériorisée de cette figure n'est pas due au travail de l'artiste, mais à l'observation des règles de l'ancienne iconographie : la mosaïque montre l'image miraculeuse de l'Hodiguitria, et pour cela elle doit se limiter à une seule figure.
Le visage jeune de la Mère, au regard paisible, contraste avec le pourpre foncé de son omophorion et les lignes sévères des plis du vêtement. Sa main droite montre l'Enfant qui lève la tête vers elle et fait le geste de bénédiction. Sur les épaules et le front de la Mère on aperçoit les étoiles symboles de la virginité.
On peut dire que cette mosaïque est la plus belle représentation de l'Hodiguitria parvenue jusqu'à nous, toute proche de l'image vénérée à Constantinople. La forme longue et mince de la Vierge est d'une suprême dignité et d'un sens dogmatique qui vient souligner l'inscription qui court sous la conque : "Exemplaire de vertu, Etoile des mers, Porte du salut, Marie libère par son enfantement ceux qu'Eve avec son mari (pour complice) a fait condamner." (1)
L'Hodiguitria en buste sur les sceaux du IXe siècle.
A côté des représentations de l'Hodiguitria en figure existaient celles en buste. Plutôt rares entre le Ve et le VIIIe siècle, elles deviennent la règle au XIXe siècle. On peut supposer que les ciseleurs ont toujours représenté les icônes de leur époque et que sur les icônes aussi la représentation en buste s'est substituée à l'ancienne représentation, en figure. L'Hodiguitria a ainsi trouvé sa forme définitive, celle que nous retrouvons sur les icônes de la Grèce et de la Russie.
Ces sceaux nous montrent l'Hodiguitria en plusieurs variations. Ainsi sur certains, la Mère tourne la tête vers l'Enfant, et celui-ci tend la main en avant. Mais aucun de ces sceaux ne montre les pieds nus de l'Enfant à l'exemple de la mosaïque de Monreale.
Quelques-uns des sceaux portent les inscriptions d'icônes vénérées comme "skopiotissa", Athinotissa" et Serapiotissa" qui sont des variantes de l'Hodiguitria.
Les variantes de l'Hodiguitria
Les icônes mentionnées jusqu'ici nous ont renseignés sur l'origine de l'Hodiguitria et sur l'évolution de son type. C 'est à partir du XIIIe siècle que l'Hodiguitria trouve sa forme définitive, à savoir la forme en buste. Elle se répandra dans tout l'Orient chrétien. Ses répliques sont tellement nombreuses que chaque région possède sa propre icône miraculeuse, vénérée par les foules ferventes qui trouvent devant elle l'exaucement de leurs prières. Ces Hodiguitria prennent alors le nom de la ville où elles ont apparu et deviennent un nouveau type qui se répandra à son tour, leur nom est parfois complété par un titre qui exprime la vénération des fidèles. Toutes ces représentations ne se distinguent entre elles que par de petits détails. Toutes sont fidèles au type original de l'Hodiguitria. Cette diversification des icônes issues de l'Hodiguitria se poursuit depuis le XVe siècle, si bien que nous trouvons sur les icônes tardives une accumulation de détails nouveaux qui vont jusqu'à influencer la composition en lui donnant un sens théologique nouveau. La Vierge de la Passion en est un exemple. Dès lors, ces icônes ne peuvent plus être attribuées à un type canonique précis. Elles apparaissent comme une nouvelle création, reflet d'un événement ou d'une expérience spirituelle récente, par exemple, une apparition ou un miracle. Le nombre des icônes de ce genre reste toutefois limité et ne met pas en doute la classification des anciens types des icônes de la Vierge. L'historien de l'art, grâce à cette classification, peut mieux suivre l'évolution des différents types qui ont également une signification pou l'histoire de la spiritualité.
Bon nombre de ces icônes miraculeuses se réclament de saint Luc, d'autres recherchent leur origine au temps de l'Hodiguitria de Constantinople elle-même. Et si les nombreuses légendes - à défaut des sources historiques sûres - ne peuvent pas fournir des renseignements précis sur les origines de ces icônes, elles nous ont transmis l'expression de la foi des siècles passés. Dans cette étude, nous examinerons non point toutes les icônes miraculeuses mais celles qui furent et restent les plus célèbres et les plus populaires en Grèce et en Russie.
La Mère de Dieu d'Iviron
Cette icône, vénérée au monastères des Ibériens (des Géorgiens) du Mont Athos serait elle aussi une oeuvre de Saint Luc. Son histoire miraculeuse remonte au VIIIe siècle et IXe siècle, période de l'iconoclasme qui confirmerait la date probable de sa véritable exécution.
La légende rapporte que cette icône fut trouvée par les espions de l'Empereur Théophile dans la maison d'une veuve. Elle fut frappée par un coup de sabre, et aussitôt du sang jaillit. La veuve, craignant d'autres profanations, lança l'icône dans la mer où elle s'éloigna, debout sur les vagues.
70 ans plus tard, elle aborda le rivage près de l'endroit où s'élevait le monastère des Ibériens. Lorsqu'elle arriva, les moines la virent entourée d'une lumière brillante. Ils voulurent la ramener chez eux, mais tous leurs efforts furent vains. Enfin, une voix se fit entendre de l'icône, demandant que l'ermite Gabriel vienne l'accueillir. Avec son aide, les moines tirèrent l'icône à terre, et la transportèrent dans l'église du couvent. Mais, le lendemain matin, ils la trouvèrent au-dessus du portail du monastère. Alors, l'ermite entendit la voix de la Vierge qui lui demanda qu'on lui construise une chapelle au-dessus de la porte d'entrée du couvent, car, dit-elle : ce n'est pas vous qui me gardez, mais c'est moi qui vous protège."
Selon une autre légende qui raconte l'arrivée de l'icône d'une façon analogue, le visage de la Vierge a été frappée par l'épée d'un sarrasin et le sang coula de sa joue. Le sarrasin, bouleversé par ce signe, se convertit et entra comme novice dans ce monastère où il se consacrait jusqu'à sa mort à la prière et à l'ascèse. Il est vénéré encore aujourd'hui par les moines sous le nom de saint Barbaros. Au mont Athos, la Vierge de la porte, la "Portaïtissa", est restée l'objet d'une grande dévotion. Sa fête est célébrée le mardi de Pâques. Ce jour-là, on la porte en procession solennelle sur le bord de la mer, sur le lieu où elle avait été accueillie par l'ermite Daniel. (1)
L'icône qui est vénérée actuellement au monastère d'Iviron est probablement d'une époque plus tardive, car le ton gris de sa carnation et ses ombres vert-olive sont caractéristiques pour les icônes du XIIIe siècle. Au XIVe siècle, elle fut couverte d'une plaque d'argent repoussé et ne laisse plus apparaître que la tête et les mains de la Mère et de l'Enfant, ce qui rend sa datation difficile. On peut pourtant y reconnaître les traits caractéristiques de la Vierge d'Iviron : comme l'Hodiguitria, elle tient l'Enfant sur son bras gauche. La tête inclinée, elle regarde son Enfant qui lève les yeux vers elle. Sur sa joue, on peut distinguer les traces de la blessure faite par l'épée du profanateur. L'Enfant fait de sa main droite le geste de bénédiction; de l'autre main, il tient le rouleau de l'Ecriture dans une position verticale.
La Vierge d'Iviron est également une des plus belles icônes de la Russie où elle est appelée "Iverskaïa". Au XVIIe siècle, le Patriarche Nikon avait commandé deux copies aux iconographes du Mont Athos. La première envoyée en 1648 par l'archimandrite Pachomios au Tsar Alexis Mihaïlovitch, fut reçue à Moscou avec grande solennité et transférée en procession au monastère de Novodiévitchi où elle fut gardée dans une chapelle spécialement construite par le Tsar. Bientôt, à la fin du XVIIe siècle , s'institua l'usage de porter l'icône vénérée dans les maison pour les sanctifier et pour guérir les malades. Les tsars et leurs familles ne se rendaient jamais à Moscou sans aller prier devant elle.
La deuxième copie, exécutée en 1655, était également l'objet d'une grande vénération. Elle se trouvait à Novgorod, dans la grande église du monastère nommé "Iverskii Bogoroditchii Sviatoezesrii" et vénérée comme miraculeuse par les fidèles. Plus tard, les copies de l'Iverskaïa se répandaient dans toute la Russie. Sa fête était célébrée le 31mars.
De nos jours, une icône de la Vierge d'Iviron attire à Montréal au Canada, de nombreux chrétiens, catholiques et orthodoxes. Elle produit des signes qui ne peuvent être expliqués comme étant des phénomènes naturels. Un jeune peintre catholique avait découvert cette icône chez son vieux maître iconographe nommé Nektarios. Comme l'inscription l'indique, elle avait été peinte au Mont Athos dans la même année. Quelques mois après son arrivée, le jeune peintre s'aperçut que de l'huile parfumée surgissait de l'icône. Ce phénomène durait quelques jours et se renouvela pendant deux ans, connu seulement par un petit cercle d'amis. La quantité d'huile variait entre quelques cm3 et quelques gouttes. Elle fut recueillie dans de l'ouate et distribuée ensuite à ceux qui la demandèrent. Depuis, nombreux sont les témoignages de ceux qui ont ressenti le contact bienfaisant de cette huile. Ce sont non pas seulement des guérison spectaculaires qui s'opèrent, mais plutôt des soulagements dans les multiples difficultés de la vie de notre temps.
Encore plus étonnant est le fait que pendant une retraite de chrétiens charismatiques, cette huile émane des copies et même des reproductions de cette icône. Et bien que la hiérarchie catholique ne ce soit pas encore prononcée, l'icône venue du Mont Athos fait déjà son pèlerinage à travers l'orthodoxie d'Amérique et d'Europe avant de revenir chez son gardien catholique, quand la Vierge le voudra. Les orthodoxes l'appellent "Notre Dame de la Porte du ciel", car en elle le ciel s'ouvre pour distribuer ses grâces aux pauvres de notre monde sceptique.
La Mère de Dieu de Smolensk
Cette icône du type de l'Hodiguitria doit sa particularité au rôle qu'elle a joué dans l'histoire de la Russie.
Selon les témoignages les plus anciens, l'original se trouvait déjà au XIe siècle dans la Cathédrale de l'Assomption à Smolensk. C'était la princesse Anne qui l'aurait apportée de Constantinople en 1046, à l'occasion de son mariage avec le prince Vsevolod Jaroslavitch de Tchernigov. Quand le fils de Vsevolod, Vladimir Monomaque, reçut la ville de Smolensk, il y emmena l'icône de sa mère et la plaça en 1101, dans la cathédrale de cette ville. Depuis cette époque, l'icône porte le nom de "La Mère de Dieu de Smolensk".
Une légende raconte comment en 1237, pendant l'invasion mongole, la ville fut sauvée par l'intervention de la Mère de Dieu.
Dans la nuit précédant la bataille, le gardien de la cathédrale entendit la voix de la Vierge provenant de l'icône et demandant d'appeler Mercure, un habitant de la ville. Quand celui-ci se présenta, elle le chargea d'entrer seul dans le camp de l'ennemi et de commencer le combat. "Mais," dit-elle, "la couronne des martyrs t'attendra". Mercure, en larmes, se mit en chemin vers le camp des tatares. Aidé par une force miraculeuse, il apparut au milieu des ennemis et tua leur chef ainsi qu'un grand nombre de ses guerriers. Puis il s'affaissa, épuisé par le combat. Un tatar qui passa à cet endroit le trouva et lui trancha la tête. Ainsi Mercure reçut la couronne des martyrs selon les paroles prophétiques de la Mère de Dieu. La ville de Smolensk était sauvée. L'ennemi, décimé par le combat de Mercure, se retira la même nuit.
La tradition rapporte encore qu'en 1398, au temps de l'invasion de Tamerlan, l'icône miraculeuse aurait été transportée à Moscou par Sophie, l'épouse du prince Basile Dimitrievitch, et placé dans la cathédrale de l'Annonciation où elle resta jusqu'en 1456. Au cours de cette année elle aurait été ramenée à Smolensk à la demande de l'évêque Misaïl et des habitants de cette ville. Elle y retrouva son ancienne place, dans la Cathédrale de l'Assomption. Une copie aurait été faite à Moscou et placée dans la Cathédrale de l'Annonciation. Quand, en 1524, Ivan IV fit construire le Monastère Novodiévitchi, en souvenir de la libération de Smolensk de la domination polonaise, cette copie fut transportée solennellement dans la Cathédrale de ce monastère, en présence du Grand-Prince, des boyards et de l'armée. Depuis, on prit l'habitude de fêter l'icône tous les ans, le 28 juillet, dans une procession qui eut lieu encore jusqu'à la révolution.
Durant la guerre de 1812 également, l'icône de Smolensk était présente lors des événements difficiles pour la Russie. Quand les troupes russes durent abandonner Smolensk à l'armée de Napoléon, le général Koutousov décida d'emmener l'icône avec lui et de la confier à son armée. Ainsi, le soir précédant la bataille de Borodino, l'icône miraculeuse fut transportée à travers le camp et procura réconfort et consolation aux soldats qui se préparaient à un lendemain incertain. Et quand, trois mois plus tard, Smolensk fut libérée de l'ennemi, Koutousov rendit l'icône à sa ville où elle retrouva son ancienne place.
On dit que cette icône n'était déjà plus l'original du XIIe siècle (1) On ignore depuis quand l'original n'existe plus. Ce qui est certain, c'est que la copie, vénérée encore de nos jours à Smolensk, ainsi
que ses nombreuses répliques, appartiennent au type de l'Hodiguitria, la Vierge Conductrice. Elle lève la main droite vers l'Enfant, comme pour guider les âmes vers lui. L'Enfant dirige son regard vers le spectateur et étend sa main bénissante au-dessus de la main de sa mère. C'est par elle que les hommes reçoivent toute grâce et toute bénédiction.
Les copies de l'icône de la Vierge de Smolensk sont très nombreuses. Dans un livre datant du début du siècle, E Posselianin (1) en mentionne un quarantaine. Ces icônes étaient vénérées dans toute la Russie.
Une des plus anciennes et des plus proches de l'original de Smolensk se trouvait autrefois au monastère de la Sainte Trinité de Zagorsk. (2) C'est une peinture grecque du XIII e siècle, retouchée
probablement au XVe siècle. Son origine grecque se retrouve dans le style des deux anges dans les coins supérieurs, et dans la couverture en argent repoussé sur laquelle sont représentés des saints. Dans le bas, on aperçoit deux personnages byzantins du XIIIe siècle; le Logothète Konstantin Acropolite (1220-1282) et son épouse Marie Commène. Les inscriptions sont en grec. La tradition rapporte que Saint Serge de Radonège, le fondateur du Monastère de la Trinité, aurait prié devant cette icône
Une icône de l'école de Novgorod montre un aspect particulier de l'Hodiguitria de Smolensk. Elle est peinte d'une manière linéaire et graphique, comme une fresque. Les éléments artistiques de la figuration voisinent sans s'équilibrer. Le visage de la Mère avec ses grands yeux et celui de l'Enfant sont travaillés à grands aplats. Le cadre de l'icône est couvert de textes d'une prière en faveur du Prince et de l'évêque dont les noms sont à rajouter. Ceci montre que l'icône n'était pas destinée à un seul personnage. La calligraphie des caractères comme le style de la peinture permettent de dater cette icône du début du XIVe siècle (3)
A partir du XVe siècle, les Hodiguitria de Smolensk deviennent de plus en plus nombreuses. Mais ces copies ressemblent plutôt aux icônes grecques et ne montrent pas de traits particuliers qui pourraient nous renseigner sur l'aspect de l'original de Smolensk.
La Mère de Dieu de Tikhvine
Des pêcheurs du lac Ladoga, au Nord de la Russie, avaient jeté leurs filets quand ils aperçurent sur les eaux une icône entourée de lumière. Elle se déplaçait, d'abord vers la rive, puis vers d'autres endroits vers la forêt. Tous les efforts des habitants de la région pour la retenir échouèrent. L'icône finit par s'immobiliser au milieu des marécages, près de Tikhvine. Les habitants, attirés vers l'endroit par le miraculeux cheminement de l'icône, se mirent alors à construire une église en l'honneur de la Dormition de la Vierge. C'est ainsi que la légende raconte l'apparition de l'icône de Tikhvine, en 1383.
La tradition attribue cette icône également à Saint Luc qui l'aurait envoyée en même temps que l'Evangile et les Actes des Apôtres au souverain Théophile d'Antioche. A la mort de celui-ci, l'icône aurait été transportée à Jérusalem et de là, au Ve siècle, à Constantinople, par la femme de l'empereur Théodose le Jeune. Quand au XIVe siècle, des marchands de Novgorod visitèrent la capitale, l'icône n'y était plus. Reçus par le Patriarche , ils furent interrogés pour savoir s'ils n'avaient pas entendus parler d'une icône miraculeuse venue de Constantinople. Alors, ils racontèrent l'apparition de l'icône de Tikhvine. La description qu'ils en firent ainsi que le moment de l'apparition de l'icône convainquirent le Patriarche qu'il s'agissait bien de l'icône disparue de Constantinople. Et il ajouta : "c'est à cause de notre orgueil et de nos injustices qu'elle nous a quittée."
Tikhvine devint un lieu de pèlerinage pour la population de la région. La popularité de l'icône de Tikhvine pour toute la Russie est liée aux événements de la guerre contre les Suédois. Après la prise de Novgorod par les Suédois, en 1613, ceux-ci voulaient prendre également le monastère dans lequel s'étaient réfugiés tous les habitants de la région. Les Suédois se préparèrent à maintes reprises à l'assaut, mais chaque fois, , la Mère de Dieu vint au secours du monastère en faisant apparaître une puissante armée que les Suédois virent s'avancer vers eux. Pris de panique, ils se retirèrent en désordre, laissant leurs armes sur le terrain. Quand en 1617, la paix fut conclue entre la Suède et la Russie, l'icône de Tikhvine fut apportée afin qu'elle préside la cérémonie. Depuis cet événement, l'icône fut reproduite et vénérée dans la Russie tout entière.
Longtemps, l'icône eut la réputation de n'avoir jamais été repeinte. Pourtant une restauration entreprise en 1920, révéla plusieurs couches successives de peinture. La couche inférieure montre le dessin d'une icône proche d'un original gréco-italien. N.P. Kondakov pense que l'icône de Tikhvine est une variante d'une icône byzantine du type de l'Eleoussa. (1)
En effet, le type classique a subi dans l'icône de Tikhvine quelques modifications. L'attitude de la Vierge est moins solennelle que celle de l'Hodiguitria, L'Enfant n'est pas tourné vers le spectateur, mais son corps apparaît de côté, l'épaule droite tournée vers sa Mère. Sa jambe droite est pliée et fait apparaître sous l'himation, la plante du pied. Le geste de la bénédiction est lui aussi moins solennel. La Mère, elle, se tourne légèrement vers son Fils et incline la tête vers lui. Son regard, soucieux, se dirige vers nous et exprime la grande miséricorde de l'Hodiguitria, de celle qui montre au monde pécheur, le Sauveur.
La Mère de Dieu de Kazan
Kazan, l'ancienne capitale du Khanat des Tatars sur les bords de la Volga,, fut conquise en 1555 par les armées d'Ivan IV le Terrible. Les documents rapportent qu'en 1579, un grand incendie détruisit une partie de la ville. Dans la même année, la Vierge apparut à une fillette de dix ans et lui ordonna d'indiquer aux autorités ecclésiastiques l'endroit où était ensevelie une icône miraculeuse sous les décombres d'une maison brûlée. Mais le clergé ne voulut pas croire à ce message de la Vierge. Alors la fillette et sa mère se mirent à creuser et elles trouvèrent l'icône sous le poêle de la maison. Elle avait été dissimulée à cet endroit, car sous la domination des tatars, les Orthodoxes durent cacher leur foi et les objets de culte, l'icône fut transportée en procession à la Cathédrale de Kazan et commença à accomplir de nombreux miracles. A l'endroit où elle avait été trouvée, Ivan IV le terrible fit construire un monastère de femmes et on y plaça l'icône. En 1594, le Tsar Fédor Ivanovitch fit édifier une grande église en pierre dédiée à l'Assomption et l'icône y fut déposée définitivement. On décida de fixer la fête de la Vierge de Kazan au 8 juillet.
La Vierge de Kazan accompagnait l'armée russe en 1612 lorsque Moscou fut délivrée des Polonais. Pierre le Grand la fit venir à Saint Pétersbourg. Elle y fut placée dans la Cathédrale de la Mère de Dieu de Kazan. On pense qu'à cette époque, l'original a péri dans un incendie et qu'il fut remplacé par une copie. Cette icône, recouverte d'un riche vêtement orné de brillants et de pierres précieuses, fut volée en 1904. Il ne reste plus que deux copies anciennes dans le monastère de Kazan.
L'icône ne montre qu'une partie de la forme originale de l'Hodiguitria : la Mère de Dieu, n'est visible qu'à partir des épaules. L'enfant aussi n'apparaît qu'en buste. On ne voit ni la main gauche de la Mère qui porte l'Enfant ni la main droite qui s'élève vers lui. La main gauche de l'Enfant avec le rouleau de l'Ecriture est couverte de l'himation; sa main bénissante fait un geste moins solennel que sur l'icône de la Vierge de Smolensk. Le rôle de la Mère trouve toute son expression dans ce visage soucieux, mais serein, aux grands yeux qui semblent méditer le mystère du Fils de Dieu venu en ce monde pour porter les souffrances des hommes. Cette icône n'est plus l'image de la souveraine des célébrations officielles de Byzance, c'est la vision d'une mère dont le Fils est le Sauveur du monde.
Au terme de cette évocation des diverses versions de la plus importante des icônes de Marie, il est temps de dresser un bilan - qui des leçons de l'histoire et de l'art puisse nous faire entrer dans les valeurs spirituelles dont cette icône de Marie Mère de Dieu est le signe et le réceptacle.
Tous les exemples qui ont été cités dans cette étude sont représentatifs de nombreuses copies et variantes de l'Hodiguitria qui existent aussi bien en Orient qu'en Occident. Ils nous permettent d'affirmer que dès le XIIe siècle, le type de l'Hodiguitria était bien défini dans ses éléments caractéristiques, à savoir :
1) La mère est présentée frontalement, soit légèrement tournée vers la gauche, comme il est naturel pour une figure en pied.
2) C'est une pose debout, même pour les icônes en buste. La tête de l'Enfant se trouve ainsi à la hauteur de l'épaule de la Mère; Cette attitude a été conservée également sur les icônes de la Mère assise qui tient l'Enfant sur ses genoux.
3) L'Enfant se tourne vers le spectateur et il fait de sa main droite le signe de bénédiction, les deux doigts étant étendus. A partir du 11e siècle, ce geste se fait avec trois doigts étendus. Dans sa main gauche, l'Enfant tient un parchemin.
4) Le regard de la Mère et de l'Enfant est dirigé vers le spectateur. C'est par le regard que l'Hodiguitria se distingues des autres types, de la Vierge d'Iviron et de la Vierge de Tikhvine, par exemple.
5) Ainsi, le type de l'Hodiguitria, par ses formes, ses couleurs et ses gestes, incarne une des vérités fondamentales de la foi chrétienne ; Celle qui a mis au monde le Christ-Emmanuel, est devenue la Guide pour tous ceux qui cherchent le chemin qui mène vers Lui. De lui, ils reçoivent la Vérité et la Vie.
Egon Sendler dans Plamia numéro 69, janvier 1986