Léonide Féodoroff ; le gouvernement provisoire et le Synode

Paul Mailleux o.c. pages 82-88 sous le titre "Mois de printemps"

Les catholiques russes jouissaient en fait de la liberté mais elle ne leur avait pas encore été reconnue de droit.  Au début de juin 1917, le métropolite André se trouvait en conférence avec l'exarque Léonide lorsqu'arriva à l'improviste le Prince Pierre M.Volkonsky, second fils de la princesse Elisabeth. Il était revenu du front pour un congé de quelques jours. Les deux prélats s'entretenaient précisément du plus délicat des problèmes qui leur restait à résoudre; obtenir la reconnaissance officielle de leur communauté par le gouvernement provisoire. Etait-il prudent d'entreprendre des démarches? Ne fallait-il pas plutôt éviter d'attirerr l'attention? Une requête de ce genre n'allait-elle pas réveiller les animosités, susciter des oppositions?

J'ai des relations cordiales avec le prince G.E. Lvoff, leur dit le prince Volkonsky. Voulez-vous que je tâche de le gagner à notre point de vue? Voulez-vous qu'à tout hasard je téléphone au Ministère de l'intérieur pour demander quelques instants d'enttretien? 

Les deux prélats acceptèrent la proposition. Par bonheur, le prince Lvoff se trouvait au ministère et le prince Volkonsky put lui expliquer par téléphone le sujet dont il souhaitait l'entretenir.

Attendez quelques instants, répondit le Ministre, je prendrai des informations.

Dix minutes plus tard, le prince Lvoff rappelait le prince Volkonsky et proposait un rendez-vous pour le lendemain au métropolite et à l'exarque.

Lors de l'entrevue, une commission présidée par le prince Lvoff et M.A.Kartachoff examina les pouvoirs conférés au métropolite par le pape Pie X. Elle en reconnut la validité et aussitôt offrit à l'exarque, vu sa qualité de chef hiérarchique des catholiques de rite russe, d'entrer dans la commission créée pour étudier la position future de l'Eglise catholique en Russie.

Par décret du 8 août 1917, le gouvernement provisoire abolit toute restriction à la profession de foi catholique en terre russe et leva les interdictions portées antérieurement  contre le catholicisme de rite byzantin. Il promit à l'exarque un traitement annuel de 4.000 roubles et de 1.200 à 1.500 roubles à ses prêtres.  Il offrit enfin à la communauté catholique pour y organiser un centre paroissial une partie de l'immeuble occupée par les jésuites au début du XIXe siècle avant leur expulsion de Saint-Pétersbourg .

Le gouvernement provisoire disparut hélas, avant d'avoir pu réaliser ses promesses.

Entre-temps, le métropolite avait regagné la Galicie en passant par Moscou et Kiev. L'exarque se trouvait désormais seul pour diriger la communauté catholique russe. Il avait 37 ans.

Durant les quinze années qu'il avait consacrées successivement aux études ecclésiastiques, à la vie monastique, au travail de déporté en Sibérie il avait pu  réfléchir longuement au travail pastoral particulier qui l'attendait  et au problème de l'unité à rétablir entre les chrétientés d'Orient et d'Occident. Sur ce point, il prit dès le début une position nette; la vraie solution chrétienne de ce problème doit être cherchée dans une réconciliation collective des deux chrétientés, autant que possible, par l'intermédiaire des hiérarchies. Vouloir simplement pêcher à la ligne quelques convertis parmi les orthodoxes serait montrer une vision trop étriquée du gigantesque problème à résoudre.

La mission primordiale de sa petite communauté sera celle d'un témoignage.

Le million de catholiques qui, petit à petit, s'est établi par petits groupes de Pétrograd à Vladivostok

 est presque totalement d'ascendance, de culture, de mentalité étrangère à la Russie. Sans le vouloir, ces catholiques entretiennent parmi les Russes la conviction que leur Eglise est une institution exotique sinon hostile. Comment un désir d'union pourrait-il naître et croître en de telles circonstances? Or cette opposition n'est qu'apparente et accidentelle, car l'Eglise catholique peut être pleinement russe. Il s'agit avant tout de ne pas le proclamer seulement en paroles, mais de le monttrer par des faits. De sa minuscule communauté catholique, l'exarque veut donc faire en tout premier lieu ce qu'il appellera du nom de "cause exemplaire" de l'Union. Ce terme emprunté à la philosophie scolastique reviendra sans cesse sur ses lèvres pour rappeler à ses prêtres ou à ses fidèles l'idéal à poursuivre.

Pour l'aider dans sa tâche, l'exarque pouvait faire appel à cinq prêtres. Parmi eux, Zertchaninoff âgé de 70 ans, ne supportait pas d'être dirigé par un plus jeune que lui. Deibner déclinait sans cesse, ses nerfs ne supportaient plus les contradictions. Deux plus jeunes Verkhovsky et Kolpinsky devront quitter la Russie. La seule aide venait du P.Vladimir Abrikosoff.

L'obtention de la pleine liberté religieuse avait détendu visiblement les nerfs des catholiques de Russie; comme par enchantement elle avait dissipé les anciens sujets de dissension. Catholiques russes, polonais, lituaniens, français, se trouvaient unis dans l'optimisme.  A la clôture du Synode éparchial, Mgr Edouard Ropp, administrateur de l'archevêché de Mohiliov, avait improvisé un discours dans lequel il avait exprimé à l'exarque, s'i le voulait l'usage de la vaste église des chevaliers de Malte. Le P.Léonide employait un petit oratoire voisin de l'église Sainte-Catherine où il était tout à fait chez lui.

En 1917 et 1918 Mgr Ropp était venu en habits pontificaux assister à l'office russe de Pâques.

En retour l'exarque assista à la Noël et à la messe de minuit, et à la procession de la fête Dieu. L'Orient, très soucieux de souligner le mystère de l'Eucharistie, ne connaît guère la vénération extérieures du saint sacrement, l'occident par contre l'a développé con tre les hérésies protestantes.

Une autre raison d'optimisme était la volonté de réforme que manifestait à cette époque l'Eglise Russe orthodoxe. L'établissement d'un gouvernement provisoire "de par la volonté du peuple" en remplacement de la monarchie de droit divin, sapait à la base l'organisation juridique de cette Eglise établie par Pierre le Grand. Une Eglise créée par le pouvoir civil et intrinsèquement dirigée par lui aurait cherché son appui principal auprès du nouveau gouvernement mais la conscience russe, par instinct, n'avait jamais pris son parti de l'administration synodale que lui avait imposée Pierre le Grand.  

 

 

Réformes religieuses par Wikipédia

L'Église orthodoxe russe était fortement opposée aux réformes de Pierre. Elle les estimait néfastes pour la survie des vieilles traditions russes et dangereuses pour sa puissance (Pierre ordonna même de fondre les cloches en bronze des églises pour fabriquer des canons). Après la mort du patriarche Adrien en 1700, Pierre ne nomma pas de successeur, et en janvier 1721, il établit le Saint-Synode pour régir l'Église, ce qui fut par ailleurs l'étape finale de ses réformes

Dans un sursaut de vitalité, elle saisit cette occasion historique pour s'efforcer de reconquir sa vie propre et indépendante. Dans cet effort, les catholiques voyaient un gage de rapprochement certain.

Les métropolites de Pétrograd et Moscou qui avaient dû leur élections aux intrigues de Raspoutine furent priés de démissionner et furent aussitôt remplacés. Le 29 avril, l'ancien synode impérial presque entièrement renouvelé décréta la convocation d'un concile général de l'Eglise russe pour étudier les problèmes soulevés par les derniers événements. La réunion d'un concile à ce moment n'était cependant pas sans danger. Les idées démocratiques, prônées en politique par réaction contre l'absolutisme de la monarchie, pouvaient prévaloir assez facilement dans les affaires ecclésiastiques. Quelques prélats concervateurs avaient voulu réserver aux seuls évêques la participation au Concile, mais la majorité des membres du saint-synode ne se rangea pas à leurs vues. Sur 564 personnalités convoquées au concile général, 314 près de trois cinquième furen t des laïcs. Les ecclésiastiques y comptèrent 80 évêques, 149 prêtres et 9 diacres.

Le concile se tint à Moscou le 15 août par une liturgie dans la cathédrale de la Dormition au Kremlin, un office semblable fut célébré dans 33 églises de Moscou. Après ces liturgies le peuple chrétien se rendit au Kremlin pour un "moleben". (Office de supplication).

Les troubles révolutionnaires se multipliaient de plus en plus dans tout le pays; ils rendaient particulièrement urgent l'établissement dans l'Eglise d'une autorité suprême et forte. Le 11 octobre l'archevêque d'Astrakhan proposa l'élection sans tarder. Les deux tendances perceptibles parmi les membres se manifestèrent alors avec vivacité; les uns voulaient le rétablissement du patriarcat supprimé par Pierre le Grand, les autres demandaient que l'Eglise continue à être dirigée par un synode, élu non par par le pouvoir civil mais par des conciles qui se réuniraient d'office à des périodes déterminées. On tomba finalement d'accord sur un comprioomis. Il fut ainsi décidé;

1. Dans l'Eglise orthodoxe russe, le pouvoir législatif et judiciaire appartiendrait au Concile régional qui se réunirait à périodes fixes et se composerait d'évêques, de clercs et de laïcs. Le concile aurait aussi le pouvoir de contrôler.
2. Le Patrarcat serait rétabli. Le patriarche présiderait à l'administration ecclésiastique. Parmi les autres évêques, ses égaux, il jouirait d'une primauté d'honneur.
3. Le patriarche et tout l'appareil d'administration ecclésiastique seraient soumis au concile.  

Trois candidats au patriarcat furent élus. Le soir du 4 novembre leurs noms durent déposés dans un coffret aux pieds de l'icône historique et miraculeuse de Notre Dame de Vladimir. Le lendemain,  un ermite aveugle fut désigné pour retirer du coffret le nom de l'élu du seigneur, ce fut celui de Monseigneur Tikhon (Belavine) , métropolite de Moscou. Le nouveau patriarche ne se distinguait ni par une érudition éblouissante , ni par une carrière administrative particulièrement brillante; c'était avant tout un pasteur. Lors de l'ouverture du concile, il en avait été élu président par un vote de 407 voix sur 432 votants. Il jouissait donc de la vénération générale.

L'exarque Léonide savait quelles importances auraient les décisions du concile pour l'orientation  future de l'Eglise russe et pour un rapprochement éventuel avec l'Eglise catholique. Le ministre des cultes Kartachoff, l'avait autorisé à en suivre les séances à titre d'observateur et il avait tâché de n'en perdre aucune.

 Quelques jours après l'élection du patriarche, une voix s'éleva au milieu de l'assemblée qui causa à l'exarque une joie particulière . C'était celle de l'archiprêtre Oustinsky, maître en théologie, aumônier du couvent des religieuses de Novgorod

L'élection du patriarche, exposa le prêtre,  exposa l'archiprêtre, présente à l'Eglise orthodoxe russe une excellente occasion de tendre la main - si faiblement que ce soit - aux autres confessions chrétiennes en vue d'une réconciliation. Que le patriarche adresse donc à SS le pape benoît XV, une lettre pour lui annoncer son élection comme i l'a fait aux autres patriarches. Ce geste serait agréable à Benoît XV Il atttendrirait son coeur. Quelle joie et quelle consolation il lui procurerait ! Nous aussi, orthodoxes, comportons-nous avec le respect convenable envers l'Evêque de Rome   comme envers le Pasteurs Suprême de tout la chrétienté et, sans doute, il répondra à notre initiative comme il convient. Qui sait? Notre démarche marquera peut-être le début d'une ère nouvelle pour les relations entre orthodoxes et catholiques. Ner sommes-nous pas lassés de notre animosité réciproque? Pouvons-nous espérer qu'elle prendra bientôt fin? Quand pourrons-nous nous donner les uns les autres le baiser de paix? Heureux qui sera..."  
D'après les mémoires du prince Volkonsky. Cet incident n'a pas été consgné dans les acte du synode qui ont été publés. Note de l'auteur. Le prince Wolkonsky est propriétaire terrien et Kammerherr (chambellan), titre honorifique à la cour de Russie et préside l'assemblée de la noblesse de l'ouyezd de Balachov dans le gouvernement de Tambov. Il est à la tête d'une organisation agricole pendant la Première Guerre mondiale et il est un des fondateurs d'une organisation œcuménique en Russie en 1917. Il émigre d'abord à Constantinople en 1918, où il se convertit au catholicisme au sein de l'Église grecque-catholique russe, puis en France, où son frère Serge le rejoint. Il travaille de 1931 à 1938 aux archives de Mgr André Szeptycki (1865-1944), dont le procès en béatification a été ouvert en 1958. Il meurt en 1948[1] à Paris, quelques mois après le départ de son fils pour l'URSS

Hélas, les pères du Concile ne accorder à cette proposition qu'une attention très partagée. Déjà l'élection du patriarche avait eu lieu dans le crépitement de fusillades voisines. Les bolcheviques bombardaient le Kremlin que défendait encore un groupe de junkers, élèves de l'école militaire, fidèles au gouverment provisoire. Les événements politiques devenaient de plus en plus inquiétants. Le concile dut être ajourné "sine die".

 

la suite dans l'article "Dans le chaos"



11/06/2014
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